Figure montante de la campagne contre le 4e mandat de Bouteflika, Amira Bouraoui, qui a fait irruption dans l'actualité politique, crie son indignation et celle d'une génération. «Non, l'Algérie n'est ni une monarchie ni une dictature», rage-t-elle. - Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à sortir dans la rue pour vous opposer au 4e mandat de Bouteflika ?
Vous savez, lors des deux premiers mandats de Bouteflika, je n'étais qu'une citoyenne qui sortait d'une décennie de terreur, je portais un regard à la fois critique et perplexe sur le bilan du Président. Mais je me disais qu'il fasse mal ou bien, après tout, en 2009, il passera la main. Je lui reprochais déjà pas mal de choses : ce qui s'est passé en 2011 lorsque des citoyens ont été assassinés arbitrairement, je lui reprochais l'emprisonnement de journalistes pour avoir exprimé leurs opinions… Mais je me disais il s'en ira en 2009, comme le stipule notre Constitution et on passera à autre chose. A l'été 2008, quand il y a eu des rumeurs de révision constitutionnelle et l'augmentation brusque et brutale du salaire des députés afin de procéder au viol de la Constitution, ce jour-là, j'ai commencé sérieusement à m'inquiéter. J'étais à mille lieues de croire qu'il serait capable de sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Nous avons alors commencé à signer des pétitions virtuelles, sur le Net. Certains ont haussé le ton, mais le jour du viol de la Constitution, la terre a tremblé sous mes pieds. Depuis ce jour, les raisons se sont accumulées au fur et à mesure. Le 3e mandat fut lourd pour la citoyenne que je suis car je ne l'ai jamais accepté. Je me disais qu'il n'oserait jamais aller vers un 4e mandat, mais je pressentais que celui qui viole une Constitution peut faire pire. Avant même d'apprendre qu'il était officiellement candidat, en voyant ses courtisans préparer un autre viol, là j'ai dit «stop». J'ai décidé, avec des citoyens qui partagent les mêmes convictions, de sortir et de dire : «Halte ! Non au 4e mandat.» Ma citoyenneté a été assez bafouée comme ça. Sans parler bien entendu du bilan de ces dernières années, qui est catastrophique. 15 ans au pouvoir ! Nous sommes encore complètement dépendants du pétrole, notre système de santé est malade, l'éducation n'a jamais été réformée comme il le faut, le chômage bat son plein dans un pays en chantier. Il n'y a vraiment pas de quoi être fiers.
- Après la seconde action de rue, hier, comment comptez-vous mener cette campagne ? Allez-vous changer de méthode ou resterez-vous sur le même mode opératoire ?
Nous ne sommes plus quelques citoyens à mener les actions, nous sommes si nombreux, en Algérie, à rejeter ce mandat, pour des tas de raisons, certains pour leur amour du sacré Doustour piétiné, d'autres parce que l'état de santé du Président risque de déstabiliser l'Algérie. Un Président qu'on ne voit plus depuis longtemps… Même ceux qui ont pu trouver Bouteflika sympathique hier, trouvent qu'il exagère aujourd'hui. De cette contestation, le mouvement Barakat est né, fait de citoyens conscients de la gravité de la situation. Et ce sont eux qui choisiront, ensemble, le mode opératoire des actions à venir. Mais nous ne nous arrêterons plus, jusqu'à ce que les irresponsables qui se cachent derrière Bouteflika et lui-même prennent conscience qu'on ne les laissera pas déstabiliser le pays.
- Le rejet du 4e mandat semble gagner du terrain, mais il demeure «passif» et sans grande mobilisation. Pourquoi, selon vous ?
Vous savez, les 15 ans de «bouteflikisme» qui ont suivi les 10 ans de terreur ont été très nocifs à l'expression de la société civile. On nous a appris à nous taire et à ne râler un peu que quand il s'agit de revendications autres que politiques. Tant qu'on râle pour un peu d'huile, un peu de sucre, un salaire, des conditions de travail ou bien le chômage, ça passe, mais on nous a appris à éviter de dépasser la ligne rouge, cette ligne rouge qui est notre pays ! La peur... Oui, la peur a été un moyen de gouvernance ainsi que la répression, qu'elle soit sournoise ou directe. Sans parler de notre histoire contemporaine, une période difficile. Nous sommes des citoyens que certains pensaient morts, nous n'étions qu'en convalescence d'une période douloureuse. Là, nous réapprenons à marcher, mais très vite, nous apprendrons à courir pour le bien de notre pays, du respect des lois et de la République. Non, l'Algérie n'est ni une monarchie ni une dictature. Ce n'est pas pour ce résultat que tant d'Algériens ont donné leurs vies. Nous le rappellerons à M. Bouteflika, au cas où il l'aurait oublié, ainsi qu'à tous ceux qui soutiennent ce non-sens et cette gabegie ! Non, les Algériens qui nous regardent de là où ils sont, qui n'ont plus la chance d'être parmi nous, ne sont pas morts pour ce piètre résultat.