Fougueux et virulent. Viscéralement attaché à sa ligne d'opposition radicale au pouvoir, Djamel Zenati appelle à faire barrage à un 4e mandat de Bouteflika. «Plaider un 4e mandat, c'est se rendre complice de l'assassinat de l'Algérie. Faire barrage à cette option est un acte patriotique. Une lutte de libération nationale», a défendu l'ancien parlementaire lors de son intervention, hier, au forum du quotidien Liberté. Cependant, sa revendication ne s'arrête pas en si court chemin et clarifie davantage sa pensée pour que son propos ne prête pas à confusion. «Encore faut-il apporter ici une précision capitale. Le départ de Bouteflika, si départ il y a, reste largement insuffisant pour éloigner le pays de la zone rouge. Un retour à l'ancien modèle serait tout aussi catastrophique», appuie-t-il. «Seule une perspective de transition démocratique pourrait éviter au pays le péril», plaide-t-il. Retrouvant ses airs de tribun, Zenati ne tarit pas de formules pour brocarder Bouteflika et «sa petite république» qui veut «s'accaparer la République». «C'est un candidat absent. Voter pour lui c'est voter pour un clan maffieux, lui n'est qu'une marque labellisée», raille encore l'ancien leader du Mouvement culturel berbère. Il met en garde contre un passage en force à l'occasion de l'élection présidentielle du 17 avril prochain. Djamel Zenati, qui n'est pas favorable au boycott, estime que la bataille électorale «mérite d'être menée, car elle a permis de mobiliser et de rétablir le dialogue avec la société». «En cas de passage en force, nous nous arrogeons le droit de nous insurger», avertit celui qui était directeur de campagne de Hocine Aït Ahmed à la présidentielle de 1999. Evitant soigneusement de critiquer les partisans du boycott, tout comme il ménage les participationnistes, à l'exception du «candidat absent», Djamel Zenati estime que les deux camps appartiennent à la même famille qui «devraient se retrouver au soir du 17 avril, quelle que soit l'issue de l'élection présidentielle». «Au soir de l'élection, on doit tous converger», convie-t-il. Et ce n'est qu'à l'aune d'une mobilisation populaire autour d'une convergence menant vers une transition démocratique que le scrutin présidentiel peut constituer l'espoir. «Petite république et contre-société et état-colon» Et pour mieux situer les enjeux de l'élection présidentielle et les défis qu'elle pose, l'ancien parlementaire met en évidence, dans son analyse, l'évolution du système du pouvoir, depuis l'installation de Bouteflika à la présidence de la République. «Sans se départir de ses deux dimensions autoritaire et clanique, le système a radicalement changé dans sa configuration, son mode de fonctionnement et sa base sociologique. Il emprunte désormais à un autre univers», professe-t-il. Le processus de mutation s'est déployé à deux niveaux. «Au sommet, avec l'émergence d'un sous-système et en concurrence avec celui-ci. Et par le bas, à travers l'apparition d'une contre-société faite d'un conglomérat de clientèle innervant l'ensemble du tissu social», dissèque l'ancien député. Zenati parle d'une «stratégie de conquête méticuleusement élaborée dès l'installation de Bouteflika au palais d'El Mouradia à travers des nominations, révision de la Constitution, redistribution de la rente et autres instruments mobilisés pour accroître ses plages d'influence et élégir sa clientèle, le clan résidentiel a érigé sa propre république dans la République et contre la République». Il estime que ce «phénomène inquiétant n'est pas sans rappeler l'Etat-colon». Encore plus virulent à l'égard de Bouteflika, l'ex-détenu d'avril 1980 dresse un portrait peu glorieux du candidat absent. «Otage de son passé et obnubilé par sa mégalomanie, il a très vite développé le syndrome d'Hubris (maladie du pouvoir).» «Bouteflika voulait nous acheminer vers les monarchies du Golfe», lance-t-il. La maladie du locataire d'El Mouradia n'a pas donné un coup d'arrêt à cette entreprise. Bien au contraire. «Loin de freiner l'entreprise, la maladie du Président lui donnera une accélération fulgurante. Les membres du clan, fort d'une délégation de pouvoir et dispensé de toute responsabilité, s'activent dans tous les sens. Pour sauver leur petite république, ils se présentent à l'élection présidentielle sous le label d'un Bouteflika usé, diminué et totalement étranger aux réalités du pays», détricote l'intervenant du forum de Liberté. Péril ou espoir Cet état de fait ne peut plus durer au risque de mener vers l'irréparable. «Le sous-système ne peut indéfiniment s'étendre. De même, la contre-société ne peut indéfiniment prospérer. Il y a des limites tant objectives que subjectives. Si elles venaient à être dépassées, l'irréparable se produirait», prévient Djamel Zenati. Car il estime que le dualisme «est intenable. Il est facteur de désordre et de régression. C'est précisément là où se situe l'impasse du système. Le maintien de Bouteflika va conforter le sous-système et renforcer la contre-société». D'où la nécessité de «faire barrage à un 4e mandat», tranche-t-il. L'alternative, selon Zenati, réside justement dans l'effort de «destruction/construction qui exige la mobilisation de toute la société. Qui n'est concevable que dans une transition démocratique, seule perspective à même de rétablir la confiance et remettre les citoyens en mouvement. C'est l'esprit même de la proposition d'un congrès national», qu'il a déjà proposé. Pour lui, l'élection «pour peu qu'elle soit accompagnée d'une dynamique de construction de l'alternative démocratique peut constituer un moment fondateur d'une Algérie nouvelle», soutient-il. Djamel Zenati refuse le piège qui consiste à opposer partisans du boycott à ceux de la participation. «Ce serait une erreur stratégique que de les opposer, estime-t-il, car ces deux expressions partagent le même idéal, elles appartiennent à la même famille : celle du changement. La différence dans la démarche ne doit pas compromettre toute la dynamique.» Zenati exhorte tous les acteurs politiques à faire preuve de vigilance, de lucidité et éviter de tomber dans le piège de la dispersion et de la division. Il prévient contre la manœuvre du pouvoir qui s'emploie à mettre une clôture infranchissable entre les forces du changement. «La meilleure façon de lui signifier son échec est de se rassembler maintenant», réplique le leader de l'opposition démocratique. Zenati a conclu en interpellant «les patriotes au sein du sérail, dont il ne doute pas l'existence, qui doivent rendre la mesure exacte de la gravité du moment».