Le président de la Chambre nationale de l'agriculture (CNA), Ould Hocine Mohamed Chérif, aborde dans cet entretien la question des prix des produits agricoles qui demeurent excessifs pour le commun des Algériens, en dépit d'une production abondante. Selon lui, si les prix sont élevés, malgré une offre excédentaire, ce n'est certainement pas la faute des agriculteurs, mais bien celle des mandataires qui s'arrogent des marges excessives sur les marchés de gros. Bien que le secteur de l'agriculture affiche actuellement des excédents de production, les prix à la vente des produits agricoles restent excessifs. Comment expliquez-vous cet état de fait ? Le secteur agricole affiche en effet 20% d'excédents de production en moyenne. Si , malgré cette abondance de l'offre, il y a hausse des prix à la vente à certaines périodes, cela veut surtout dire qu'il y a un problème d'organisation des circuits de distribution et des marchés de gros. Pour la pomme de terre par exemple, sur l'ensemble de l'année 2005, il a été enregistré un excédent de production de plus de 400 000 tonnes. Les prix sur champs, c'est-à-dire ceux pratiqués par les producteurs varient, selon les saisons, entre 12 à 18 dinars le kilogramme. Mais au niveau des marchés de gros, les prix sont tout autres, car ces marchés ne sont régis par aucune règle. Qui gère les marchés de gros, qui fixe la mercuriale..... ? Ce qu'il faut dire à ce propos, c'est qu'en Algérie, on est resté sur des schémas anciens d'organisation des marchés. Ces derniers sont gérés en effet avec des visions strictement communales. La cherté des produits agricoles est-elle donc due à l'absence d'une réglementation des marchés de gros et de l'activité des mandataires ? Les marchés de gros sont gérés par les communes dans une logique qui se limite au simple souci de récupérer des taxes. Pour le reste, ils sont entre les mains des adjudicateurs qui font ce qu'ils veulent. Nous n'avons pas de règles établies concernant l'hygiène, les prix et autres impératifs d'organisation des marchés. Aussi, il faut aujourd'hui que l'Etat, à travers les départements du Commerce et de l'Intérieur, s'implique davantage dans l'organisation du marché. L'implication des institutions doit non seulement porter sur la fixation de la mercuriale, mais doit aussi s'inscrire dans un souci de santé publique, de solidarité fiscale et de contrôle des flux financiers à travers la facturation. L'on évoque aujourd'hui de sérieux problèmes d'écoulement de la production agricole. Qu'en est-il exactement ? Le problème d'écoulement des produits agricoles est du aux insuffisances constatées au niveau des réseaux de distribution et d'espaces de mise en marché des produits. Aussi, les producteurs sont soumis à la loi des mandataires, d'où l'état de désorganisation du marché. Le meilleur exemple qui illustre cet état de fait est la vente sur pied. En l'absence de règles commerciales établies, mais aussi d'espaces de stockage et de conservation, l'agriculteur se retrouve enclin à recourir à la vente sur pied, c'est-à-dire, à vendre ces produits directement sur champs. Or, cela a des conséquences brutales, car les mandataires qui accaparent ainsi la production accèdent à des marges brutes sur la vente des produits agricoles, dépassant souvent les 100% . Ceci constitue une véritable aberration. Acheté à 12 dinars à l'agriculteur, le kilogramme de pomme de terre est revendu à 24 Da par le mandataire. De ce fait, le consommateur n'est pas protégé et ce n'est certainement pas la faute aux agriculteurs. L'implication des pouvoirs publics dans la fixation de la mercuriale peut-elle être de mise dans l'actuel contexte de libéralisation du marché ? Même si les prix sur le marché sont libres, il est néanmoins nécessaire que les règles du jeu soient claires et que les institutions remplissent leurs missions de régulation. Aujourd'hui, il faut professionnaliser le corps des mandataires. D'ailleurs, personne ne sait combien de mandataires il y a exactement, vu que tout le monde peut exercer en tant que tel pour peu qu'il est de l'argent. Les mandataires créent parfois la pénurie en stockant à leur guise les produits pour les revendre plus chers après. Ils se livrent ainsi à des pratiques de spéculation dans l'impunité la plus totale. Il y a là des défaillances quant aux rôles des institutions. Faut-il aujourd'hui envisager une réorientation, voire une réforme du plan national de développement agricole (PNDA) ? Le PNDA, en créant l'abondance de la production, a mis à nu les carences des autres secteurs, tels que le commerce, les transports, la chaîne de froid et les industries de transformation agroalimentaires. Le PNDA n'a pas besoin de réformes, car il est en constante évolution. C'est un plan qui tient compte de trois éléments à savoir la réalité du marché, les revenus des agricultures et l'utilisation des ressources. Qu'en est-il de la question du statut du foncier agricole ? Pour moi le statut du foncier agricole n'est plus un problème aujourd'hui, dès lors qu'il y a une production abondante et que la formule de concession a bel bien fait ses preuves. Il n'y a pas de raisons de faire l'amalgame entre le foncier et la propriété. Le système de concession existe dans le monde entier et l'on est pas obligés d'être propriétaire pour travailler la terre. Comment expliquez-vous la faiblesse des exportations agricoles, alors même que l'on évoque un excédent de production ? Si l'on prend le cas des dattes, il est fait état pour 2005 de près de 500 000 tonnes non placées sur le marché intérieur ni sur le marché extérieur. En fait, l'exportation des dattes souffre d'un manque de professionnalisme en matière de courtage et de lobbying sur le marché international. Il y a également lieu de relever en ce contexte, les carences des industriels algériens quant à s'adapter aux exigences du marché extérieur, en termes de poids, d'emballage et autres normes. Le problème des normes (calibrage, résidus de pesticides, engrais ...) se pose en fait pour l'ensemble des produits et constitue ainsi un obstacle à l'exportation. Il faut donc s'adapter aux normes internationales en apprenant à produire pour le marché extérieur. Il est vrai que nos produits sont sains et que c'est là un atout qu'il faut mettre en valeur, mais pour améliorer les exportations, il faut les adapter aux normes exigées sur le marché extérieur.