Voilà des semaines que la ville de Ghardaïa vit des violences urbaines sporadiques qui prennent des tournures dramatiques. C'est une partie de nous-mêmes qui nous interpelle, chacun dans son domaine et dans ce qu'il peut apporter comme contribution pour que cette région du M'zab renoue avec sa légendaire sérénité, sa convivialité et son hospitalité. Justement, je constate en tant qu'architecte urbaniste, responsable du bureau d'études chargé de l'étude du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé de la vallée du M'zab (PPSMVSS), que dans ce domaine précis, la typologie urbaine actuelle de la vallée du M'zab détient une part de responsabilité dans ces douloureux événements. Il va sans dire que cette violence urbaine qu'a connue Ghardaïa diffère de celle que connaissent les grandes villes du nord du pays, précisément dans les grands ensembles urbains périphériques, où l'on constate l'apparition de gangs de banditisme et autres maux sociaux liés non seulement aux conditions socioéconomiques de ses populations qui viennent de divers horizons, donc sans attachement à ces lieux, mais aussi et surtout à la configuration urbaine et architecturale de ces nouveaux pôles urbains. En effet, ceux-ci sont conçus à la manière des ruches d'abeilles où s'entassent des milliers de familles dans un environnement urbain austère et dépourvu d'âme, d'infrastructures et d'équipements qui font de la ville toute sa dynamique fonctionnelle, sociale, économique culturelle, etc. La faute incombe certainement, dans un premier temps, aux concepteurs de ces nouveaux espaces urbains, où l'on note l'absence d'une planification urbaine sérieuse et réfléchie. L'acte de bâtir est un geste hautement responsable et honorable, car il «insuffle une vie» dans un espace vierge destiné à des êtres humains avec leurs exigences et besoins et qui engagerait des moyens humains et financiers considérables. Sur le plan architectural, là aussi il y a beaucoup à dire quand on est en face des incompétences professionnelles des intervenants qui limitent la conception des logements à des cubes, barres, tours et îlots fermés, offrant des paysages urbains de béton agressifs, hideux et refoulants, avec des problèmes de vis-à-vis, des nuisances sonores des cours intérieurs, etc. En somme, on est en train de répéter toutes les bêtises urbaines occidentales du début du siècle précédent et des années 1960-70 issues du mouvement moderne, le cas de la ville nouvelle de Ali Mendjli à Constantine, d'El Bouni à Annaba, Bachdjarrah à Alger, etc. Ceci dit, la typologie urbaine de la vallée du M'zab se présente autrement. Elle n'a rien à voir avec les villes du Nord ni dans sa forme urbaine ni dans sa composante sociale, encore moins pour les raisons de cette malheureuse violence. Ainsi, la vallée du M'zab, de par sa spécificité en tant que centre urbain historique classé patrimoine national et international, est constituée d'un ensemble de 5 ksour millénaires avec ses monuments territoriaux respectifs et, d'un autre côté, on a un tissu urbain extra-muros, constitué en grande partie de constructions illicites très denses, qui ont provoqué une conurbation de toute la vallée (depuis Daya Bendahoua en amont de l'oued M'zab jusqu'à El Atteuf en aval), soit sur une longueur moyenne de 25 km. C'est un espace urbain trop étendu pour sa gestion et qui complique la protection du patrimoine. La différence réside également dans le fait que les grands ensembles urbains des villes du Nord sont constitués d'habitats collectifs relevant du programme d'Etat et ceux de la vallée du M'zab sont issus de constructions individuelles illicites. C'est à ce niveau que se situent les problèmes urbains de la vallée, plus exactement dans cette partie extra-muros qui contourne les ksour. Ainsi, on assiste à une urbanisation illicite par les Mozabites des palmeraies et autres enclaves dont ils sont propriétaires et une autre forme d'urbanisation, en majorité illicite, également constituée par la communauté dite malékite dans le reste des espaces libres du fond de la vallée et Chaâbat du relief naturel. Ce qui nous donne souvent des mitoyennetés de quartiers entre les deux communautés. Il est à préciser que ce n'est pas cette mitoyenneté qui pose problème, au contraire, elle est la bienvenue pour la convivialité entre les habitants. Sans parler des ksour et des monuments historiques qui ont leurs propres problèmes, ce sont certains grands quartiers extra-muros mozabites et malékites qui souffrent souvent du manque de bien-être urbain en relation avec le cadre de vie. Il se trouve que parmi les anciens quartiers, Thniet El Makhzen, Hadj Messaoud, Mermed, Bensmara, etc., connaissent un environnement urbain des plus déplorables. On assiste à un tissu urbain désarticulé, délabré, voies mécaniques très exiguës et sans trottoirs, le cas de la célèbre rue Metlili, au cœur deThniet El Makhzen, qui s'étend sur une longueur de 116 m linéaires avec une largeur de 2,80 m, difficulté d'accès pour les cortèges nuptiaux ou pour les ambulances et sapeurs-pompiers en cas d'interventions d'urgence, absence d'espaces verts et de jeux, constructions non achevées, etc. Ce constat est d'ailleurs pareil pour les autres quartiers, comme Babasaâd, Karkora, Babaoulejma, etc. Ainsi donc, vivre dans des conditions pareilles pour les deux communautés crée à la longue des tensions entre les habitants eux-mêmes et avec le voisinage. A cela s'ajoutent également les soucis socioéconomiques liés au chômage, à la cherté de la vie, à l'exiguïté du logis, au besoin en logements qui tarde à se résorber, au manque de moyens de distraction, etc. L'étendue de ces espaces urbains, le nombre d'habitants toujours croissant, la course à la spéculation foncière, l'absence de perspectives claires de développement urbain et les conditions de vie en général font que tout le monde vit dans un climat urbain explosif au sein de toute la vallée. Un autre phénomène vient compliquer les choses, c'est l'expansion des zones d'habitat illicites qui pullulent autour des nouveaux programmes d'habitat et dans les chaâbat des flancs de la vallée. Ils se sont développés d'une façon fulgurante après les inondations dramatiques d'octobre 2008. Ces nouveaux quartiers non seulement obstruent le cours d'eau des vallons qui alimentent l'oued M'zab, mais aussi mettent en danger permanent ses habitants lors des grosses pluies. Et c'est là aussi que s'entassent une multitude de couches sociales d'ici et d'ailleurs qui font grossir le rang des contestataires, des frictions et des tensions sociales. Que faire ? C'est vrai qu'en dehors des grands axes de servitude, l'état de fait urbain de la vallée est chaotique, mais pas pour autant irrémédiable. C'est vrai aussi que les choses sont complexes et enchevêtrées, mais il y a toujours des solutions, mais à quel prix ? Justement, nous les techniciens dans le cadre de nos missions locales n'avons pas cessé de recommander et de sensibiliser les acteurs concernés, de lancer des opérations de restructuration des quartiers extra-muros afin d'offrir aux habitants un meilleur cadre de vie où ils peuvent s'épanouir et s'identifier à leur ville. Ce ne sont pas les opérations dites «d'amélioration urbaine» (dallage des trottoirs, revêtement des voies, éclairage public, etc.) qui font la mise à niveau et la promotion de ces quartiers. Il faut des opérations sérieuses et profondes de restructuration du tissu urbain par l'ouverture des voies, la démolition des constructions délabrées et celles ne respectant pas les règles d'urbanisme, la création d'espaces verts et de jeux pour aérer ces entités urbaines. Au lieu de cela, ces quartiers sont livrés à eux-mêmes et on s'est mis à créer d'une manière indéfinie et éparse de nouveaux pôles urbains sur les hauteurs de la vallée du M'zab, comme Bouhraoua, Oued Néchou, zone des sciences, etc., dans une forme urbaine totalement inadaptée aux lieux, à la manière des grands ensembles du Nord, sans niveau d'équipements requis qui fait d'eux de nouvelles cités-dortoirs, pour ne pas dire de futures bombes sociales. Par ailleurs, le parcellaire des logements individuels y est tellement réduit (moyenne de 150 à 200 m²) que les propriétaires construisent la totalité du lot sans laisser place à un espace de plantation. Ainsi donc, l'option de cité-jardin vitale pour le maintien du microclimat local saharien et le confort des habitants est totalement perdu pour le compte d'un paysage urbain en béton. Ceci nous amène à un autre volet en relation avec l'option ksouriene dans la planification urbaine, mais ce n'est pas le sujet de cette contribution. Un autre fait dangereux pointe déjà son nez et qui compliquera davantage les problèmes urbains de la vallée du M'zab, il s'agit de l'imminente conurbation entre ces nouveaux pôles urbains avec la vallée depuis Oued Néchou, au nord, jusqu'à la ville nouvelle de Metlili El Djadida, au sud-est, le long de la RN1 sur une longueur de plus de 30 km. C'est catastrophique non seulement pour la vallée en tant que secteur sauvegardé (couvrant à lui seul plus de 50 km²), mais aussi pour la gestion urbaine de cet immense espace plein d'incohérences sur tous les aspects. Pour stopper cette tendance désastreuse et réduire ces incohérences, il est plus que vital de redéfinir les options du PDAU intercommunal de la vallée dans la limitation des zones à urbaniser, de cesser d'étendre indéfiniment le périmètre urbain, d'instaurer une zone tampon entre le secteur sauvegardé de la vallée et ces pôles, de doter ces nouvelles entités urbaines d'infrastructures et équipements pour leur propre autonomie de fonctionnement sans sollicitation du centre mère, etc. Il y a beaucoup à faire, c'est certain, mais il suffit de recentrer l'effort de l'Etat avec une réelle volonté politique locale moyennant des moyens financiers conséquents et l'implication de tous les acteurs concernés (administration, professionnels et société civile) dans une stratégie de planification urbaine intelligente et lucide pour pouvoir limiter les dégâts et assurer un avenir serein pour nous et pour nos futures générations. La paix sociale, le bien-être du citoyen algérien et la protection de notre patrimoine n'ont pas de prix…