En ce début d'année 2014, Winnie Madikizela Mandela publie chez Michel Lafon la version française de son journal de prison intitulé Un cœur indompté : carnets de prison et correspondances. Cet ouvrage autobiographique est d'une importance significative pour l'histoire de l'Afrique du Sud. L'histoire même de ce journal écrit en prison est surprenante : quarante ans après avoir été écrites, ces pages lui reviennent par l'épouse d'un de ses avocats de l'époque, David Soggot. Retrouvant ces pages dans sa maison à Londres, Greta Soggot les a rendues à Winnie Madizikela Mandela il y a tout juste un an. Relire ces pages fut un choc pour Winnie Mandela. Ses filles l'ont fortement encouragée à les publier car elle hésitait à le faire. Ce journal de bord, confisqué à sa sortie de prison, avait été complètement oublié. Ainsi, replonger au cœur de ce qu'elle a vécu par le biais de ce qu'elle a écrit pendant ces heures d'horreur fut vécu comme un second trauma. Il lui a fallu un certain temps pour accepter l'idée de publier ce journal, complété par des lettres échangées avec Nelson Mandela emprisonné à perpétuité à Robben Island, avec ses avocats et avec les responsables de la prison. Le rendre public fut donc difficile pour elle. Fascinante Winnie Mandela, comme ces pages le confirment ! En effet, en prison elle prit le risque de coucher sur papier ses impressions, sentiments et ressentiments et de raconter ses relations avec ses geôliers, avocats, bourreaux et codétenues. La lecture de ses pages est éprouvante car ce journal révèle toute l'horreur vécue lors de l'arrestation, suivie d'un procès douloureux et ensuite de l'emprisonnement. La dureté, les brimades, le calvaire de l'enfermement, l'isolement prennent toute leur signification. Le lecteur vit au quotidien ce qu'elle a ressenti durant ces années quand l'existence du peuple sud-africain noir était tout simplement niée. Les gardiennes de la prison de Pretoria se comportaient de façon haineuse, avec un racisme si fort qu'il est difficile de croire que des êtres humains puissent éprouver de tels sentiments juste parce que la personne en face d'elles a une couleur de peau différente. La maltraitance s'exerçait contre toutes les prisonnières noires, mais particulièrement envers Winnie Mandela qui résistait avec un courage et une volonté hors du commun. La stratégie des Afrikaners était de casser toute velléité de révolte et de résistance chez les sud-Africains noirs de Soweto, le plus grand township d'Afrique du Sud. Considérée comme prisonnière politique, Winnie Mandela est traitée comme une criminelle dans des conditions de détention inhumaines, démontrant que les animaux étaient mieux traités en Afrique du Sud. Les conditions d'hygiène sont innommables. Winnie Mandela n'a droit qu'à deux litres d'eau par jour pour boire, se laver et laver éventuellement son linge ! Le même ustensile sert à tout, ce qui fait que la prisonnière ne mange plus. Sa santé se détériore rapidement, au point où on la trouve inanimée dans sa cellule. Mais, extraordinairement, elle trouve la force de se battre contre le système carcéral. Elle se bat aussi pour ses sœurs combattantes, prisonnières comme elle. Elle est souvent mise au cachot, sans lumière, sans promenade quotidienne. Winnie pense devenir folle. Mais, là encore, sa forte personnalité et son imagination la sauvent. Durant ces moments terribles, elle se force à penser à son enfance, aux quelques moments de bonheur vécus avec son père, ses frères et sœurs. Elle pense à Nelson Mandela, à leur bonheur sacrifié pour que l'Afrique du Sud sorte de l'apartheid. Le plus émouvant, c'est lorsqu'elle écrit sur ses deux filles, Zenani et Zindzi qu'elle a laissées seules quand la police l'a arrêtée, à l'aube, chez elle à Soweto. De longs mois après son arrestation, Winnie Mandela n'a pas été informée du sort de ses filles. Il lui a fallu une immense dose de conviction, de foi et de courage pour surmonter pareille épreuve pendant que ses enfants étaient prises en charge par sa famille et des amis. Si par la suite s'appeler Mandela est devenu valorisant, dans les années 60' et 70' les lâches s'éloignaient de ce nom. Elle apprend que la santé des filles se détériore. On peut imaginer la douleur de la jeune mère séparée de ses êtres les plus chers. Ce journal révèle aussi la guerre psychologique menée contre les Mandela. On va jusqu'à faire circuler de fausses informations sur l'un et sur l'autre, y compris des histoires d'adultère. Ce qui frappe dans la seconde partie, ce sont les lettres échangées entre Nelson et Winnie. Un véritable chant d'amour s'y exprime, une véritable tendresse et un vrai respect. Cet amour est d'autant plus renforcé qu'il dit aussi l'âme révolutionnaire et l'engagement de ce couple pour leur pays, leur peuple. Ce journal nous fait découvrir que Winnie Madikizela Mandela ne fut pas seulement l'épouse de Nelson Mandela, mais une révolutionnaire à part entière avec ses idées, sa vision et sa volonté de maintenir le nom Mandela, symbole d'une révolution pour l'égalité entre Noirs et Blancs. Winnie Madikizela Mandela est une véritable passionaria comme elle le dit si bien : «J'étais moi, j'étais Noire et j'étais fière de ma négritude.»