Les lieux respirent encore les années cinquante. Pas de route, pas d'électricité, pas de réseau d'assainissement, ni d'AEp… Mardi 7 avril, le temps est printanier, la petite ville littorale de Beni-Ksila connaît une animation inhabituelle pour la saison. Plusieurs fils de la région vivant à Alger s'y sont donnés rendez-vous pour tenter de concrétiser un vieux projet qui leur tient tous à cœur : redonner vie à leurs villages en décrépitude, abandonnés depuis des lustres. Constitués en coordination de villages, ils ont, après moult rencontres avec les autorités, obtenu l'envoi sur les lieux d'une délégation composée des représentants de villages, du P/APC, du directeur des travaux publics de la wilaya et des responsables de la Conservation des forêts d'Adekar. Comme feuille de route, le recensement des urgences à entreprendre dans les meilleurs délais, pour permettre aux villageois de reprendre possession de leurs terres. Aux environs de 10 heures, les membres de la délégation tous arrivés, le convoi constitué de 4x4 prend la route qui mène à Timri Moussa dans un nuage de poussière. Dés le début, la piste qui mène vers les hauteurs oubliées de Beni-Ksila laisse voir déjà son état lamentable. Plus on avance plus la route devient quasi impraticable. Si au début, on avait droit à une douche de poussière, à partir du village Athrouche, on est soumis à des secousses, tangages et balancement de toute sorte. Le chemin crevassé, rainuré, boueux laissait difficilement le passage. Trous par-ci, protubérances, les véhicules brinquebalaient, s'embourbaient, cahotaient, s'encastraient dans des obstacles, reculaient et repartaient péniblement. En dépit de la pénibilité de cette expédition, c'est l'ambiance parmi les membres de la délégation. Nos accompagnateurs, Samir, Rachid, Rabah et Yahia, dont les parents sont originaires de Timri Moussa, sont enchantés de revoir la terre de leurs ancêtres. Ils sont animés d'un feu sacré, celui de rebâtir leur village ancestral. Le superbe paysage qui s'offrait aux yeux vaut bien le déplacement. Calycotomes, arbousiers, chênes, lentisques et bruyères arborescentes composent, pour l'essentiel, la végétation des lieux où le silence règne en maître absolu. Hormis des postes militaires visibles sur les hauteurs jalonnant notre route, il n'y avait pas d'âme qui vive. Seuls un camion et un tracteur ont croisé notre chemin. Les villages que nous traversons, Iguer Amar, Iguer Ouzemmour, Sidi Abbou, Ighil Khelil, Athrouche, Abdelmoumène, Ath Ouali, offrent un spectacle de désolation. Pilonnés durant le Ramadhan de l'été 1956, ces villages ont été totalement désertés par leurs habitants, certains sont regroupés dans des semblants de villages sur le littoral, d'autres se sont réfugiés qui à Bir-Khadem qui à Bir Mourad Raïs où ailleurs. Il y avait certes un timide retour dans les années quatre vingt de quelques villageois venus refaire leur vie dans la terre de leurs ancêtres mais la décennie noire a mis un terme à cette aventure et c'est de nouveau le déracinement. «Notre village comptait dans les années cinquante quelques 360 maisons, et aujourd'hui, c'est un village fantôme. On veut le faire renaître, on veut renouer pour de bon avec notre terre» explique Samir Lahlou, président de l'association Agdud n'Timri Moussa. A midi quelques minutes, le convoi arrive enfin au terme de son voyage, le village Timri Moussa. La première chose qui s'offre à nous en accédant au village est une stèle commémorative à la mémoire de centaines de Chahids tombés au champ d'honneur. Erigée sur un mamelon qui domine la région, elle rappelle aux visiteurs le lourd tribut payé par la région pour l'indépendance du pays. Quelques maisons bâties dans les années quatre-vingt laissent voir des toitures affaissées, des murs délabrés. L'ancien village bâti sur un piton à quelques encablures de l'endroit est entièrement en ruines, hormis El Djemâa Oussemeth, lequel, nous dit-on, a servi de lieu d'observation pour l'ALN, qui montre des murs encore debout, tout est effondré, en ruines. Les lieux respirent encore les années cinquante. Pas de route, pas d'électricité, pas de réseau d'assainissement, ni d'AEP…. Les lieux vivent en marge de ce siècle. Mais à voir la passion et la volonté qui animent les villageois, on ne peut que gager sur la réussite de l'entreprise de renaissance et de repeuplement de cette partie de Beni-Ksila, en catalepsie depuis plus de cinq décennies. Que demandent présentement les habitants pour faciliter leur retour sur les lieux ? L'aménagement en urgence de la piste qui dessert les lieux.