Jamais, dans l'histoire politique de notre pays, les hauts gradés de l'armée algérienne n'ont autant été interpellés publiquement. Citoyens, intellectuels, moudjahidine, hommes politiques, militaires en retraite s'évertuent, à longueur de colonnes, d'avertir la haute hiérarchie de l'ANP (commandement et Services secrets) des grands dangers qui planent sur le pays — et jamais l'ANP n'a autant produit de communiqués officiels en un laps de temps aussi court que ces derniers jours. Les Algériens, dans leur très grande majorité, regardent du côté de l'armée, en cette période de lourdes incertitudes, pour la simple raison que c'est elle qui détient la réalité du pouvoir politique depuis 1962. C'est la fameuse «armée des frontières» dirigée par Houari Boumediène qui a intronisé par la force Ahmed Ben Bella au pouvoir. Le colonel Boumediène a déposé Ben Bella en 1965. A partir de là, le système politique algérien s'enracinera dans la violence. La Sécurité militaire osera même assassiner des dirigeants historiques de la Révolution algérienne. En 1980 et 1999, Chadli et Bouteflika sont cooptés par les assemblées générales d'officiers supérieurs. En 1991, l'ANP «sauve» la République, mais s'égare dans une gestion opaque du pays. Au nom de la lutte contre le terrorisme, des pratiques politiques nient les droits des Algériens. Le souffle de liberté de 1988-1989 est balayé par la toute-puissance d'une bureaucratie politique et militaire, arrogante et irrespectueuse du citoyen. Cette élection nous renvoie l'image de nous-mêmes, d'un pays dirigé d'une main de fer même avec un civil à la tête de l'Etat. Face à des citoyens désemparés mais gardant espoir, l'appareil bureaucratique et rentier auquel se sont greffés des affairistes qui tiennent le haut du pavé, dotés d'une puissance financière exceptionnelle, baignant dans l'informel et les transactions douteuses, est tenté de reproduire le même schéma politique prévalant depuis 1962. Le système pousse l'effronterie à vouloir imposer aux Algériens un homme politique qui a fait son temps (15 ans au pouvoir), malade et qui a lamentablement échoué au plan économique. L'Algérie est d'une fragilité extrême, relevée d'ailleurs par l'ensemble des experts algériens, y compris les plus favorables au président Bouteflika. La rente pétrolière n'y fera rien, elle devient un lourd handicap. Le «scénario mortifère» pour demain est écrit quelque part. Le régime est complètement autiste. Mais la situation peut déraper. Un passage en force risque d'aggraver la dynamique conflictuelle et plonger le pays dans le chaos. Les militaires sont face à leurs responsabilités. Seront-ils capables d'agir de façon désintéressée, en accompagnant le consensus qui se construit dans le pays pour inaugurer une nouvelle phase politique, en mesure d'engendrer la construction de la démocratie...