A la cité Les Bananiers, à l'est d'Alger, rien n'indique qu'une élection se déroule dans la ville. Les gens semblent occupés par les achats. Reportage. La rumeur a couru dans les rues d'Alger la Blanche qu'«une révolte» se préparait quelque part en raison de «la guerre» au sommet autour du maintien de Bouteflika au pouvoir après quinze ans de règne. La rumeur est une arme efficace en temps de crise. Elle prend de l'ampleur dans un pays où «la culture» du complot est labourée à chaque bout de sillon. A l'école Ahmed Layadi, une petite file indienne s'est constituée au niveau du bureau d'entrée. Certains électeurs n'ont pas trouvé leurs noms dans le fichier. A quoi sert donc «la révision exceptionnelle» des listes électorales, si le problème qui existe depuis vingt ans n'est pas encore réglé. « Je vais voter et je refuse d'entendre ceux qui appellent au boycott, ça n'a aucune utilité. Je ne veux pas de problème dans mon pays», nous dit un jeune. Pour qui a-t-il voté ? «Pour celui qui garantit la stabilité à l'Algérie», répond-il. Oui, mais lequel ? Ali Benflis ? Abdelaziz Bouteflika ? Abdelaziz Belaïd ? A Verte Rive, au niveau de Bordj El Kiffan, la brise marine fait oublier «les informations» alarmantes venant de Bouira et «l'image» désastreuse du président sortant assis dans un fauteuil roulant. L'image fait le tour du monde, les confrères étrangers appellent, s'interrogent. Dans les bureaux de vote de l'école Verte Rive 1, pas de commentaires, ou si peu. «Oui, mais nous savons qu'il est malade depuis une année. Y a rien de nouveau !», répond un agent. Vous avez voté ? «Attendez que je mange d'abord. Après je vais réfléchir à la question», réplique-t-il avec un large sourire. wCap sur les Eucalyptus, l'odeur des grillades «déborde» sur la rue principale qui mène à Larbaâ. Sur les deux bordures, des fraises et des oranges sont cédés à des prix d'hypermarché par les revendeurs ambulants. C'est donc cela «l'économie informelle» que Sellal ne veut pas «déloger». L'école du quartier des 621 Logements est située au bout d'un marché. Il faut traverser une route cahoteuse. Le développement local de Bouteflika III oublie les petites ruelles du petit peuple qui vit dans les bas quartiers. Eucalyptus garde «les mauvais souvenirs» du sang qui coule sur les trottoirs et des odeurs de balles assassines. «La paix ! Nous, nous votons pour el hna. Nous ne voulons pas de chaos dans notre pays», crie un homme entre deux âges. «J'ai voté pour Bouteflika», soutient une jeune femme. «Il n'y a pas mieux pour l'instant. Bouteflika, nous le connaissons. Pas question de voter pour Louisa Hanoune», dit-elle. Une autre électrice dit n'apprécier la chef du Parti des travailleurs qu'en tant que militante. «Pas plus. Je ne vois pas une femme gouverner un pays comme l'Algérie», appuie-t-elle. Un jeune, casquette et allure sympathique, est là, dans ce bureau du premier étage, pour surveiller le vote au nom de Ali Benflis. «Je supporte Benflis car il fait confiance aux jeunes», dit-il. Mais qu'attend-il de l'élection présidentielle ? «Je veux qu'après, on s'occupe de nous, qu'on écoute les jeunes, qu'on leur assure un avenir», dit-il. Une femme, qui entre dans le bureau, lance : «Dites aux responsables qu'ils nous débarrassent des baraques dans lesquelles nous vivons depuis des années.» Les logements, l'AADL et les interminables listes d'attente, les formules CNEP étaient pourtant la garniture colorée des plats de la campagne du président sortant. A El Harrach, à l'école Emir Abdelkader, peu de monde. Le chef du centre s'inquiète de notre arrivée. «Figurez-vous sur la liste ?», nous interroge-t-il. Quelle liste ? «Celle envoyée par la wilaya d'Alger». La wilaya d'Alger a envoyé des listes détaillées à tous les centres de vote sur les journalistes étrangers accrédités en Algérie avec tous les détails : numéros de téléphone, email, nationalités… Il est difficile d'expliquer ces méthodes qui rappellent les anciens temps de la glaciation. La presse nationale n'est pas concernée par ces listes. Mais bon, passons. Seuls Ali Benflis et Abdelaziz Bouteflika sont représentés dans les bureaux de vote. Pas de trace des autres candidats, Louisa Hanoune, Abdelaziz Belaïd, Moussa Touati et Ali Fawzi Rebaïne… Les contrôleurs parlent d'argent. Les partisans de Bouteflika auraient offert 4000 DA, 2000 DA pour ceux de Benflis. «Je ne suis pas contre Bouteflika mais je ne veux pas qu'il reste au pouvoir. Dans tous les pays, les présidents font deux mandats et partent. Nous avons besoin de changement en Algérie», soutient un jeune qui dit voter «par devoir». A côté de l'école, des jeunes «parlent» politique. «Nous ne votons pas. Cela ne sert à rien. Pour ceux qui gouvernent, nous sommes une quantité négligeable. Bouteflika n'a pas besoin de nos voix pour rester au pouvoir», dit l'un deux, s'exprimant avec des mots en anglais. Le rêve londonien ? «Ballak, j'en sais rien», réplique-t-il la voix vive. A El Maqaria, à l'école Hadj Tigrine, les jeunes plaisantent sur «le maire». «Nous profitons de votre présence pour vous dire des choses. Notre maire, un élu du RND, passe son temps à jouer aux boules au centre commercial d'Ardis et signe les documents derrière les bâtiments. Il n'est jamais dans son bureau», lance un jeune. Le boulisme pourrait-il être une nouvelle spécialité politique en Algérie ? Les habitants d'El Maqaria voteront peut-être non !