La faculté centrale d'Alger abrite depuis plus de 100 ans une bibliothèque recelant une collection de livres dans le domaine des sciences naturelles. Un trésor scientifique parmi les plus anciens et les plus riches d'Afrique du Nord. Un patrimoine qui risque de disparaître si on ne fait rien pour le préserver. «Qui viendra défaire ma bibliothèque quand j'aurai quitté ce monde ? Je ne lui en veux surtout pas. Qu'il sache que j'ai trouvé dans la fréquentation des livres un incommensurable réconfort.» Cette phrase de Gilles Archambault dans Un après-midi de septembre, raconterait presque l'histoire d'une bibliothèque implantée dans la faculté centrale d'Alger. Un lieu où reposent de vieux ouvrages dans tous les domaines de la recherche scientifique datant presque tous de plus d'un siècle. Ce bâtiment abrite peut-être encore des savoirs ignorés dans le domaine des sciences naturelles. Nadia Bouguedoura, directrice du Laboratoire de recherche sur les zones arides (LRZA) se bat ardemment pour préserver un trésor encore méconnu ou plutôt mésestimé. Un lieu étroit qui regroupe à la fois une bibliothèque, une société savante et un herbier. Cet ensemble constitutif d'un patrimoine scientifique est un trésor de recherche et au final une référence monumentale et incontournable pour la recherche contemporaine. C'est sur les étagères de cette bibliothèque qu'ont été semées certaines des premières graines de la recherche scientifique il y a de cela plus de 100 ans. Une vieille couveuse de savoir «Un livre à la couverture usée par le temps m'interpelle. J'ai ramené une paire de ciseaux et j'ai coupé le filet qui entourait cet ouvrage ancien qui n'a jamais été contemplé. Quand j'ai survolé ses quelques pages poussiéreuses, j'ai été tout simplement éblouie par la richesse des notes qu'il contenait. Ce livre, bien qu'il soit ancien, m'a été d'une aide salvatrice dans mes recherches», relate une chercheuse, enseignante en pharmacie qu'on a rencontrée dans la bibliothèque. «Ce recoin a été fondé dans les années 1900. Considérée aujourd'hui comme la plus grande d'Afrique, cette bibliothèque contient plus de 5000 titres dans divers domaines de la recherche scientifique, entre autres la botanique, la phytopathologie, l'écologie, la zoologie, etc.», souligne Naït Djoudi, un bibliothécaire qui veille sur cette richesse depuis plusieurs années. Cependant, l'évolution des moyens de recherche ainsi que des ouvrages modernes ont mis sous le boisseau ces premières sources d'une culture scientifique établies préalablement par les pionniers français tel le botaniste Desfontaines et l'abbé Poiret. «Je voudrais sauvegarder ce patrimoine avant de prendre ma retraite. Je me bas pour ne pas laisser ces précieux ouvrages dépérir. Cela est devenu ma hantise», se mine le Pr Bouguedoura. «Après l'indépendance, on a continué à acheter des revues régulièrement. On disposait à l'époque de 125 revues scientifiques et des abonnements à des bulletins de synthèses classées par thématique qui faisaient une collecte de tout ce qui a été publié dans les revues», se rappelle Naït Djoudi. La société d'histoire naturelle d'Afrique du nord Née en 1909 de la volonté de développer le champ scientifique, la Société d'histoire naturelle d'Afrique du Nord (SHNAN) est un organe emblématique. Elle détient la primeur dans la recherche sur le terrain maghrébin et méditerranéen des sciences naturelles. Dirigée par le pionnier de la botanique en Algérie, Maire René en 1911, cette société savante entama l'animation de ses activités en livrant des bulletins alimentés par des publications tout en s'insérant dans des lieux de publication internationaux. Le bulletin de la SHNAN est «l'une des rares revues qui ait perduré au-delà de la colonisation. Une bonne partie de ses revues ont été numérisées par Google. La société compte 75 volumes et 14 numéros hors série dans divers domaines de la science de la nature, entre autres la biologie, la géologie, la zoologie, etc.», précise Naït Djoudi. L'herbier ou le zest du monde botanique Riche de près de 160 000 planches (plantes), le bassin méditerranéen fut pour plus d'un siècle un terrain d'étude pour les botanistes et spécialistes en mycologie (étude des champignons). Avant l'indépendance, les études et les recherches dans ce domaine furent florissantes. L'herbier créé par des chercheurs français demeure la seule empreinte de ces études. Des planches à la calligraphie propre et soignée, issues de recueils très anciens nous informent sur diverses espèces des plantes avec une rigueur et un esprit purement scientifiques. C'est cela l'herbier. Pour la Pr Bouguedoura, la préservation de cet herbier a pour but de conserver les échantillons de certaines plantes disparues aujourd'hui. «On voudrait le réhabiliter et essayer de trouver le moyen de le mettre dans un endroit où il sera protégé et valorisé. Les scientifiques étrangers nous contactent régulièrement pour nous demander de leur céder cet herbier si on ne réussit pas à le sauvegarder nous-mêmes», s'offusque-t-elle. Pr Bouguedoura souhaite également numériser l'herbier pour permettre aux chercheurs à l'échelle nationale et internationale de l'utiliser et l'exploiter. «C'est aussi un moyen pour le préserver», prône-t-elle. «J'ai l'impression que certaines personnes ne connaissent pas l'importance de savoir ce qu'on avait comme plantes. Cet herbier reste le plus ancien et le plus grand en Algérie», conclut la chercheuse. En voyant cet héritage, nous ne pouvons que regretter le fait que les étudiants de cette génération dite «high tech» ne s'intéressent pratiquement plus aux livres originels et cela depuis l'apparition de l'Internet. En dépit de la massification des informations, les trois W ont favorisé la désertification des bibliothèques. La jeune génération oublie qu'il y a des ouvrages très anciens qui contiennent des notes très importantes qu'on ne peut trouver ailleurs. Un savoir à l'état brut avec une âme propre, presque chaleureuse qui fait toute la différence avec la lecture numérique si froide et si aseptisée.