La rigueur n'exclut pas la passion, ni le présent le souci de la mémoire. -La «Ballade littéraire», une belle dénomination sans doute. Mais comment pouvez-vous nous la définir ? En fait, la «Ballade littéraire» de Béjaïa est un tandem constitué de Nourredine Saïdi, artiste plasticien de talent qui a appris à «se» mêler les pinceaux dans une école des Beaux-Arts en Belgique et de votre serviteur, enseignant de mathématiques à l'Université de Béjaïa. Je ne sais pas si j'ai une quelconque qualité, mais des convictions et de l'énergie, si ! -Quelles sont les activités principales de la «Ballade littéraire» ? L'activité essentielle consiste en l'organisation de conférences-débats animées par des auteurs-écrivains, au Théâtre régional Abdelmalek-Bouguermouh de Béjaïa, en rapport avec l'actualité éditoriale nationale, et ceci à raison d'une à deux fois par semaine. L'animation et la modération des débats sont assurées par Tinhinan Khelladi et Wafa Mokrani. Une fois l'an, dans le cadre du «Printemps des mots», nous organisons un colloque international sous la direction de Tassadit Yacine (EHESSS-CNRS), directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et membre du laboratoire d'Anthropologie sociale du Collège de France. En 2013, nous avons organisé un colloque en hommage au grand écrivain Rabah Belamri. A cette occasion, plusieurs auteurs, romanciers et conteurs algériens et internationaux ont répondu à notre invitation. La session de 2014 sera consacrée à l'année 1871 en Algérie et à l'insurrection en Kabylie orientale*. Et là, d'autres amis se joignent à nous, comme Salah Lazizi et Madjid Menasria. -Disposez-vous d'aides ou de partenariats pour organiser ces manifestions culturelles ? Notre collaboration avec l'APC de Béjaïa a débuté l'année dernière. Ils ont pris en charge la moitié des frais du colloque consacré au conte. Cette année, la totalité des frais inhérents à cette manifestation a été intégrée dans le cadre des activités culturelles du Comité des fêtes de la ville de Béjaïa. Pour sa part, le Théâtre régional de Béjaïa collabore «culturellement» en mettant gracieusement à notre disposition son infrastructure et ses techniciens. -Quel est l'intérêt scientifique et historique de ce colloque international consacré à ce pan de la résistance anticoloniale en Algérie ? En réalité, il s'agit d'un déplacement de commémoration. Parler du 8 mai 1945 est encore problématique et la lumière n'a pas été faite sur ce drame qui a marqué les mémoires. En revanche, 1871 est plus abordable même si c'est un événement lointain qui a malheureusement été effacé de l'histoire. On n'en parle pas assez alors que c'est un soulèvement important et déterminant dans l'histoire nationale. Durant cet événement, toute une région s'est insurgée, de Béjaïa jusqu'aux portes de Constantine, des Aurès, de Djidjelli et du Sud jusqu'à M'sila. Les conséquences étaient très lourdes : des morts, des blessés, des prisonniers… Des hommes ont été déportés en Nouvelle-Calédonie. Des humiliations et des souffrances ont été imposées par un envahisseur armé jusqu'aux dents face à une population qui se battait avec des pierres, des massues, des haches. Un pan considérable de la société a été dépossédé de ses terres. Ce moment de l'histoire fut caractérisé par une inversion des rapports de force. Les riches propriétaires se sont appauvris alors que ceux qui ont «collaboré» se sont enrichis. Toute la population était unie dans ce combat contre le colonisateur. -Quelle place les historiographies officielles algérienne et française accordent-t-elles à cet épisode de l'histoire de l'Algérie coloniale ? En Algérie, on enseigne peu — et je dirai mal — l'histoire. On met généralement l'accent sur l'histoire des événements, sans se référer au contexte historique dans ses dimensions politiques, sociologiques, culturelles et autres. L'Algérie a tourné le dos à son histoire dans ses dimensions locales. La France s'intéresse à ce qui s'est passé en métropole vers 1870. Elle n'a aucune raison de revenir à l'histoire des colonies. Il y a, çà et là, des recherches mais celles-ci demeurent à l'initiative d'individus. -Quels seront les thèmes abordés durant ce colloque ? Qui sont les intervenants ? Nous avons voulu nous centrer sur l'origine de cette insurrection et mettre en lumière les questions liées à la politique française en France, en Algérie, l'insurrection, les lieux de mémoire (Palestro, Jijel, les Portes de Fer), les conséquences de cette insurrection sur les populations et sur le destin de tout un pays comme les déportations, la destruction des foyers religieux (les confréries), la dépossession et le «vol des terres»... On compte des invités de premier plan au colloque : Tassadit Yacine, Benjamin Stora, Georges Morin, Abdelmadjid Merdaci, Ouarda Siari-Tengour, Raphaëlle Branche, Françoise Vergès, Rachid Oulebsir, Fouad Soufi, Mahdi Lallami, Abdelhak Lahlou, Samia Messaoudi, Mouloud Kourdache, Slimane Zeghidour, Wassyla Tamzali, Salah Oudahar et Virginie Aimone. -Sur quelle base s'est opéré le choix de ces intervenant-e-s ? Au départ, les personnes intéressées par le sujet était au nombre de quatre ou cinq. Nous les connaissions notamment par leurs travaux. De fil en aiguille, ce sujet a suscité un intérêt qui nous a incités à élargir le cercle des participant-e-s. Il faut ajouter qu'au départ nous ne disposions d'aucun moyen, si ce n'est le soutien du Théâtre régional de Béjaia. Nous n'avions donc aucune prétention à lancer des appels à communication. Puis la donne a changé lorsque l'Assemblée populaire communale (APC) de Béjaïa a pris en charge l'aspect matériel de la manifestation. -Quel public ciblez-vous à travers cette manifestation ? Ce colloque revêt une vocation citoyenne. Il s'adresse au plus grand nombre. Ce qui signifie que nous ne nous situons pas dans le carcan universitaire et il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre les échanges qui auront lieu. Le citoyen lettré et cultivé peut écouter et intervenir pour donner son point de vue, éclaircir une situation ou poser une question. -Vous avez programmé un spectacle adapté du texte de Benjamin Stora, Les trois exils. Quel est le lien entre le thème du colloque et ce texte qui met en lumière l'histoire de la communauté juive qui a quitté l'Algérie en 1962 ? Il s'agit d'une coïncidence. Nous projetions d'inviter le Collectif «Manifeste Rien» qui a mis en scène le texte de Benjamin Stora, Les trois exils. Nous avons saisi l'opportunité de la présence de l'auteur pour programmer la pièce. Le public aura ainsi tout le loisir de débattre avec lui. Les trois exils est un texte qui met en scène un pan de l'histoire de l'Algérie. L'histoire de cette famille rapatriée en France nous renvoie à notre condition de dominé-e-s. Je crois que cela dépasse largement l'histoire d'une famille, d'une communauté, d'un pays. Car c'est l'histoire de la condition humaine. Et c'est toujours et encore la colonisation qui est en jeu. Le Collectif «Manifeste Rien» est animé par des personnes engagées sur des questions que nous partageons.
*Le colloque aura lieu les 6 et 7 mai prochains au Théâtre régional de Béjaïa.