S'achemine-t-on vers une hausse des prix de l'électricité, du gaz et des carburants ? Le sujet revient au-devant de la scène régulièrement, induit par les appels répétitifs du premier responsable du groupe Sonelgaz à un aménagement des prix de l'électricité et du gaz. Et pour le gaz, les équilibres financiers de l'électricien national semblent aujourd'hui compromis. En cause des tarifs trop bas pour couvrir les charges et coûts liés à l'imposant programme d'investissement ayant pour seul objectif de répondre aux besoins d'un marché interne plus qu'énergivore. Si les autorités en charge du secteur ont jusque-là traité du sujet avec la plus grande prudence, la sortie du Premier ministre par intérim et ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, quelques jours de l'élection présidentielle, en avait surpris plus d'un. Celui-ci avait ainsi estimé publiquement que dès lors que le pouvoir d'achat des ménages algériens augmentait, ceux-ci se devaient tôt ou tard de participer aux coûts de l'énergie. Le ministre avait consciemment ou inconsciemment ouvert la voie à une révision à la hausse des prix de l'énergie, laquelle devenait de fait envisageable. Si le ministre s'était tout de suite ravisé en estimant qu'il n'y a aucun projet portant hausse des prix de l'électricité et du gaz dans l'immédiat, il n'en demeure pas moins que le démenti survenu quelques heures après un lapsus pour le moins révélateur n'était motivé que par des préoccupations purement électoralistes. Experts en énergie se relayent régulièrement pour tirer la sonnette d'alarme, pour avertir quant aux risques encourus par une telle boulimie énergétique. A l'horizon 2019, l'Algérie risque de ne plus disposer d'assez de pétrole et de gaz pour couvrir ses besoins et exporter. Un drame pour un pays pour lequel les hydrocarbures représentent 33% du PIB, 98% des ressources en devises et les deux tiers du budget de l'Etat. D'autant que l'accélération de la demande énergétique n'est nullement motivée par un regain de dynamisme de l'activité économique, agricole et industrielle, mais par la consommation des ménages. D'ailleurs, les pics de consommation électrique en Algérie sont nocturnes et non diurnes, les appels de puissance maximale intervenant en été et non en hiver. Il n'en fallait pas plus pour qu'un conseiller du ministre de l'Energie, Ali Hached, apporte de l'eau au moulin des experts tout en glissant une critique à l'actuelle politique des prix et des subventions. Manque de courage politique C'est dire que la révision des prix des produits énergétiques est non seulement envisageable, mais envisagée et devra intervenir tôt ou tard. A moins de poursuivre une politique de fuite en avant, de se voir imposer ses choix de l'extérieur et d'aller vers une hausse brutale et socialement douloureuse, les autorités peuvent encore réfléchir aux différentes options de révision des tarifs échelonnées. C'est d'ailleurs cette option qui semble avoir le plus d'assentiment. Le ministre avait d'ailleurs estimé, au début du mois en cours, que la hausse des prix se fera de manière «progressive et rationnelle», en «tenant compte du pouvoir d'achat des citoyens», de façon à réorienter les subventions vers certains métiers et catégories les plus fragiles. La messe est dite, encore faut-il concrétiser cette profession de foi. Or, le courage politique fait défaut, d'autant que les subventions et autres transferts sociaux servent à pallier le manque de légitimité chronique du régime en place. D'ailleurs, un projet de révision des prix de l'électricité et du gaz repose bien au chaud dans un tiroir du bureau du ministre de l'Energie depuis 2009, date à laquelle la CREG, ayant reçu certaines requêtes liées aux coûts des opérateurs du secteur (SPE, GRTE et GRTG, filiales du groupe Sonelgaz), avait transmis des propositions au département de tutelle. Silence radio depuis. En attendant, la consommation d'énergie augmente crescendo. Youcef Yousfi a indiqué qu'en 2013, les Algériens ont consommé pour 40 milliards de dollars de produits énergétiques et que, dans le meilleur des cas, ils en consommeraient pour 80 milliards de dollars. Des chiffres à donner le tournis, mais reflétant des prévision extrêmement optimistes par rapport à ce qui risque d'advenir. Les chiffres obtenus auprès de plusieurs organismes du secteur suscitent d'ailleurs l'inquiétude. Le développement du parc automobile, qui compte actuellement plus de 5 millions de véhicules, ainsi que l'ampleur prise par le phénomène de la contrebande de carburant motivée par des prix extrêmement bas pèsent de tout leur poids sur la demande en essence et gasoil. Ce que coûtent les subventions Selon le ministère de l'Energie et des Mines, la consommation de carburants a augmenté, en 2010 et 2011, de 8%. Pour Sonatrach, la croissance de la demande en carburants, ces dernières années, est estimée à une moyenne de 10% par an. Celle-ci a triplé en 30 ans et est passée de 7,5 millions de tonnes en 2003 à 12 millions de tonnes en 2011 et à 14 millions de tonnes en 2012. Elle devrait atteindre, selon les prévisions du ministère de l'Energie, 30 millions de tonnes en 2030 et 45 à 50 millions de tonnes en 2040. Il est vrai que la politique des prix y est pour beaucoup. Le bilan de Sonatrach précise ainsi que pour la «subvention d'équilibre» représentant le différentiel entre les prix de vente et d'achat des carburants importés, Sonatrach enregistre un manque à gagner en hausse. Celui-ci est passé de 113 milliards de dinars en 2011 à 360 milliards de dinars en 2012, soit une évolution de 217%. Le constat du Programme des nations unies pour le développement (PNUD) se fait encore plus alarmant, estimant que les carburants ont coûté à l'Algérie en subventions 8,46 milliards de dollars en 2010. Coût auquel il fautajouter le manque à gagner généré par la contrebande : 12,82 millions de dollars (selon les estimations de Yousfi), valeur des 1,5 milliard de litres de carburants subventionnés grâce auxquels 600 000 véhicules roulent au-delà de nos frontières. Une activité florissante dans le huitième pays au monde où le carburant est le moins cher avec un prix moyen de 0,18 euro par litre. Un constat que l'on pourrait transposer au secteur de l'électricité et du gaz. Au-delà des problèmes de rétrocession et autres vols auxquels doit faire face Sonelgaz, la croissance de la consommation interne pourrait à terme poser problème. Selon les services de la CREG, la consommation nationale d'électricité devrait atteindre 90 000 GWh à l'horizon 2020. Les documents portants les prévisions de la CREG à l'horizon 2023 (non encore publiés) évoquent une demande d'électricité sur le réseau interconnecté de 70 035 GWh en 2023 selon le scénario faible, de 94 795 GWh pour le scénario moyen et de 129 500 GWh selon le scénario faible. Cela reflète un taux de croissance moyen de la demande sur la période 2013-2023 variant entre 4,5% pour le scénario faible, 7,7% pour le scénario moyen et 11,1% pour le scénario fort. C'est dire l'effort d'investissement que le groupe Sonelgaz devra consentir pour atteindre l'objectif maximum de production de 151 000 GWh pour un taux de croissance moyen de la production de 10,7%. Idem concernant le gaz, pour lequel Sonatrach sera sollicitée afin de multiplier ses efforts de production et d'exploration. D'ailleurs, la CREG tablait en 2010 sur une croissance de la demande en gaz variant entre 4,3% et 7,1% entre 2010 et 2019. Des chiffres non encore actualisés et qui devraient rapidement être revus à la hausse en raison de la réalisation de nouvelles centrales électriques (cycles combinés et turbines à gaz) et de la multiplication des projets pétrochimiques de Sonatrach.