La Journée mondiale de la liberté de la presse qui coïncide avec le 3 mai de chaque année est devenue, au fil des ans, plus un moment pour parler des atteintes à la liberté d'expression qu'une occasion pour célébrer un symbole démocratique. L'Algérie, qui occupe la malheureuse 121e place sur 181 pays au classement mondial de la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans frontières (RSF), ne déroge pas à cette sinistre règle. Plus de deux décennies après les réformes politiques qui ont donné naissance à une presse indépendante, le champ médiatique est aussi biaisé que dégradé. Une réplique d'un champ politique tout aussi bridé. Les conquêtes des années 1990 arrachées au prix de lourds sacrifices sont constamment menacées par un pouvoir, dont l'aversion pour la libre expression est constitutive de son ADN politique. Aux méthodes brutales dans la répression des journalistes et des médias indépendants, s'ajoutent d'autres procédés plus pernicieux pour contrer le progrès d'une presse libre et la maintenir insidieusement dans une fragilité permanente. A l'état embryonnaire. La multiplication des titres privés de la presse écrite ne saurait cacher un espace médiatique verrouillé. Le champ des médias est volontairement plongé dans une anarchie étouffante. Le retour de Abdelaziz Bouteflika au pouvoir a permis une inondation du champ médiatique par une multitude de journaux maison qui végètent par la grâce d'une publicité publique distribuée en fonction de leur ligne éditoriale. Inutile de rappeler ici comment l'Agence nationale d'édition et de publicité (ANEP) entre les mains du pouvoir politique, gérée dans des conditions opaques, sert d'épée de Damoclès pour tétaniser la presse. Cette précarité se traduit également par la versatilité des textes et l'instabilité chronique de ce ministère de l'Information inutile. Durant les trois mandats de Abdelaziz Bouteflika, au moins treize ministres ont été consommés. Autant de ministres que de textes de lois jetés dans les poubelles avant même qu'ils ne voient le jour. L'Algérie est l'un des derniers pays au monde, avec la Corée du Nord, où le pouvoir garde la haute main sur les médias lourds. La Télévision et la Radio nationales sous la pression asphyxiante du régime sont empêchées d'assurer la mission de service public.Le 21 boulevard des Martyrs est une tour à partir de laquelle est diffusée avec emphase la propagande du régime. De la responsabilité des journalistes Les rares titres de la presse indépendante qui tentent, tant bien que mal, d'assurer véritablement leur fonction sociale qu'est la leur, font plus dans la résistance aux multiples intimidations et coups de boutoir. A leur corps défendant, ces journaux sont devenus un espace d'expression pour les voix démocratiques dans le pays, pendant que les espaces politiques se rétrécissent dangereusement. Il est illusoire de croire qu'un pouvoir autoritaire s'accommode des médias libres qui peuvent jouer un rôle central dans le débat public nécessaire à l'exercice démocratique et au progrès social. D'où la dynamique conflictuelle qui caractérise le rapport pouvoir-presse. Le scrutin présidentiel du 17 avril était, à ce titre, emblématique de ce champ de mines dans lequel évolue la presse. Les chaînes de télévision informelles au statut offshore qui gravitent à la périphérie du pouvoir ne sont qu'une amplification haineuse et caricaturale d'une dérive du métier de journalisme qui a besoin de se libérer prestement des pouvoirs. Il est évident que la chape de plomb qui pèse lourdement sur le champ médiatique a eu un effet dévastateur sur le métier et les professionnels de l'information. La dynamique des journalistes qui avait accompagné l'ouverture politique et médiatique au début des années 1990 s'est estompée sous les coups tordus internes et externes. Le Conseil de l'éthique et de la déontologie – une instance indépendante en mesure de mettre de l'ordre dans la profession – a tout simplement disparu des écrans. Le Syndicat des journalistes, qui pourtant jouait un rôle de donneur d'alerte, est réduit à sa plus simple expression. Il n'est pas faux de dire que les règles de l'éthique sont aussi piétinées par des confrères. L'abus de pouvoir doublé d'un abus d'obéissance. «Les journalistes ont besoin de réfléchir à leur pratique et à mettre en place, par eux-mêmes, des normes éthiques fondamentales», suggère un ancien du métier. Le changement auquel appellent les Algériens concerne aussi les médias dont certains ont donné, au cours de la campagne présidentielle, une image dégradée et dégradante du métier.