Suite à la publication de notre enquête relative à l'accaparement illicite par un particulier du lieu-dit Zoudj Tine, couvrant 59 ha du foncier domanial, le ministère de l'Agriculture a dépêché à Témouchent une équipe de spécialistes du foncier. Cette commission est chargée de faire la lumière sur un scandale dont l'énormité continue de défrayer la chronique locale. Cela l'est à telle enseigne que la non-reconduction d'un ministre a été mise en relation avec cette affaire, l'ex-membre du gouvernement ayant délivré indûment une carte professionnelle au principal mis en cause, le bénéficiaire du détournement par prête-nom interposé. Il lui avait attribué la qualité de conseiller. Pis, l'imposture affichée sans vergogne à Béni-Saf, servant de coupe-file et d'entregent là où il le lui fallait, était mise au compte d'une occulte et puissante protection provenant des hautes sphères du pouvoir. Par ailleurs, la nouveauté dans l'actualité réside dans une correspondance du directeur de wilaya des Domaines établissant, à l'intention du chef de l'exécutif de wilaya, la légalité de la propriété privée sur Zoudj Tine. Une copie de cette missive a été transmise au maire de la commune d'Emir Abdelkader dont relève Beni-Ghenam, la localité riveraine de Zoudj Tine et dont la population s'est soulevée contre ce qu'elle qualifie de hold-up sur le foncier domanial. A lire le contenu de la correspondance, il ressort étonnement que les 58 ha 51a 28 ca, qui constituent l'essentiel de Zoudj Tine appartiennent aux consorts Amar et Seghir alors que, jusque-là, et dans les faits, ils étaient majoritairement propriété publique ! Plus ahurissant encore, près de 29,5 ha couverts d'orangers, situés en plaine sur les bords de l'embouchure de la Tafna, et qui font partie de Zoudj Tine, leur reviendraient en conséquence alors qu'ils font partie intégrante de l'EAC Rachid Ali, cela, depuis la restructuration des domaines autogérés après 1985 ! Quant à des particuliers, les héritiers Benhassine, qui revendiquent près de 7 ha à Zoudj Tine et qui viennent de découvrir, selon un document qui leur a été délivré en mars 2014 par la Conservation foncière, leur droit de propriété sur seulement 2 ha, ils ne figurent nulle part dans le résultat des recherches du directeur des Domaines ! Sollicité, un spécialiste du foncier rural estime que le directeur d'exécutif s'est basé sur le document de base qui a permis de délivrer leur livret foncier aux nouveaux propriétaires ainsi qu'à l'épouse du très spécial conseiller ministériel à laquelle les premiers lui ont cédé près de 35 ha à Zoudj Tine : «S'il y a eu tripatouillage, c'est lors de la constitution de ce dossier de base. Le directeur de wilaya aurait dû chercher en amont dans les archives», pense notre interlocuteur. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Cela est troublant car, pour fonder son affirmation, le membre de l'exécutif de wilaya s'est appuyé sur un titre de propriété en date du 9 août 1948 alors qu'il n'en est pas fait mention dans un document établi postérieurement, en 1955, à la demande du tribunal de Remchi. Cette juridiction, alors territorialement compétente, avait, suite à un jugement prononcé en 1954 sur le partage du foncier à Zoudj Tine, mandé un expert pour trancher un litige entre les différents propriétaires. Il s'était déplacé sur les lieux pour y faire application des titres de propriété des uns et des autres, d'établir la liste des ayants droit, de déterminer les droits de chaque partie et de proposer un plan de partage. Pour ce faire, l'expert a compulsé tous les titres et documents en présence de toutes les parties concernées, et, avec leur approbation, il a été établi que Jules Barret y était propriétaire de 47ha 68a 5ca au côté de propriétés, respectivement, d'un total de 6ha 41a 34ca et de 4ha 41a 89ca. A l'indépendance, la ferme Barret est devenue domaine autogérée, ce qui signifie clairement que Zoudj Tine est à 82% domaine public. Après 1985, 18 ha sur les 47 ha de l'ex-ferme avaient été versés à la Conservation foncière. D'ailleurs, indique-t-on, l'épouse et prête-nom du conseiller ministériel avait loué, en 2013 auprès de la Conservation des forêts, 7 ha sur les 18 au titre du droit d'usage : «Pourquoi l'avoir fait alors que, d'après le titre de propriété cité par le directeur de wilaya des Domaines, cette superficie n'appartenait pas au domaine public ?». C'est dire, selon ce qui nous a été rapporté par des sources fiables, combien la commission dépêchée par le ministre de l'Agriculture en a entendu des vertes et des pas mûres de la part de la vingtaine de personnes qu'elle a entendues à Béni-Ghenam sur les agissements de responsables au sein des services des Domaines, de la Conservation foncière comme du cadastre.