Dans la même semaine où le ministre de la Justice a fustigé « des fuites organisées » d'informations sur l'affaire Khalifa et annoncé l'ouverture d'une enquête, une juge américaine a présenté une conférence à l'Ecole supérieure de la magistrature sur les rapports entre la presse et la justice. Au risque de chatouiller notre nationalisme de quarante-quatrième année d'indépendance dans quelques jours, il est peut-être utile de répéter après elle une valeur universelle et pas forcément leçon américaine, inscrite à l'entame de la Constitution des Etats-Unis, en 1791 : « Le Congrès ne fera aucune loi qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse. » Tout en étant parfaitement conforme au droit qui prémunit le travail de la justice du secret de l'instruction et protège le justiciable notamment de la présomption d'innocence, la décision du ministre, venue tardivement, sonne à cette époque-ci de prédation multiforme comme une nouvelle interdiction non voilée à la presse de s'occuper de ce qui doit la regarder. Dans son essence même, l'esprit de la démarche de la chancellerie, conformément à l'autoritarisme de nos gouvernants, est de dénier à la presse le droit de savoir pour pouvoir informer l'opinion publique. Cet esprit est aux antipodes de l'idéal démocratique qui postule une synergie entre le travail de la justice et celui de la presse. Bien plus grave, il y a comme un climat délétère chronique entre les professions de la justice et de la presse : en plus des affaires de diffamation orchestrées savamment en harcèlement, dissuadant d'utiliser tout mot de trop, il y a, insidieuse et contre-productive pour le droit à l'information des citoyens, des velléités d'instrumentation pour faire des journaux des colonnes de règlements de comptes. Il y a comme un commerce de commérages qui voudrait dénaturer la profession pour utiliser des journalistes en petites frappes sur commande. Et c'est ainsi que le « tous pourris » et le « à quoi bon ? », mamelles du populisme rampant et solides renforts à la dictature, nous éloignent toujours plus des responsabilités et des droits citoyens. Pourra être ainsi bouclée la convergence vers une monumentale, anthropologique, éducation nationale à l'esprit de rente et de prédation.