M. Boukhalfa est un ancien cadre de l'ONAB (office national des aliments de bétail) où il a passé 32 ans. Il a aussi été président du directoire du groupe avicole Ouest (ORAVIO). -On dit que la filière avicole est en crise chronique. Quelles en sont les raisons ? La crise que traverse l'aviculture n'est pas récente. Elle date de trois décennies pratiquement. Il y a des hauts et des bas qui s'expliquent par le manque d'organisation. L'amont a été bien développé et l'Algérie se positionnait au 2e rang en Afrique s'agissant de ce qu'on appelle les grands parentaux (GP), c'est-à-dire le cheptel à l'origine des reproducteurs de chair, qui donne en fin de chaîne la viande blanche. Dans ce cadre, l'Algérie est bien placée. Le handicap est au niveau de l'aval puisque les moyens disponibles ne répondent plus aux capacités en amont. Si on prend le créneau d'abattage, les abattoirs ne peuvent répondre qu'à hauteur de 16% à 20% de la production nationale. Nous n'avons pas suffisamment de moyens de transformation de la viande ni de stockage. L'éleveur se retrouve dans une situation difficile puisque obligé de céder son produit à un prix nettement en dessous du coût de production parce que c'est un cheptel vivant et périssable. Dans ces conditions, l'éleveur se retire et ferme le poulailler et c'est le cas pour la plupart d'entre eux. Cela engendre un manque sur le marché, et du coup les prix remontent, incitant les éleveurs à revenir. C'est un phénomène qui se répète régulièrement. Une bonne année pour l'éleveur est mauvaise pour le consommateur et vice versa. -Mais qu'est-ce qui empêche le marché d'avoir des prix stables, à la portée du consommateur et sans léser l'éleveur ? La solution consiste à sortir de l'informel. J'ai fait des calculs. Une reproductrice (parentaux) durant son cycle de reproduction contribue à une production de 146 kg. Nous savons que la population algérienne est de 38 millions et nous savons qu'elle consomme entre 12 et 15 kg par an et par habitant. Le besoin ainsi calculé, il faut le ramener au nombre de reproductrices qu'il faut mettre sur le marché. Il y a eu une année (2008) où nous avions produit le maximum et c'était la catastrophe. Nous avions 6,5 millions de reproductrices qui ont donné 800 000 tonnes de viande, ce qui dépassait largement le besoin des consommateurs. Il y a eu une chute des prix et le poulet était à la portée de tout le monde. Mais la victime dans tout cela c'est l'éleveur qui a été obligé de se retirer et ne revenir sur le terrain qu'après la reprise des prix. Maintenant, si on essaye de planifier en fonction des besoins des Algériens, je pense qu'on peut avoir une demande linéaire. Le marché algérien a besoin de 4,5 millions de reproductrices. Si on en met plus, il y aura une surproduction qui va ruiner les prix de vente. Si nous en mettons moins, c'est la flambée des prix. Il faut essayer de rester au niveau des 4,5 millions. Maintenant, si la demande s'exprime davantage, on peut augmenter les reproductions. Mais travailler au hasard, cela engendre des perturbations dans la mise en place des reproducteurs. C'est donc dans ce compartiment qu'il y a lieu de réguler. En aval, qui accuse un retard considérable, il est temps d'investir dans la mise à niveau. Le nombre d'abattoirs publics ou privés est nettement insuffisant. Les capacités de stockage en froid négatif avec des chambres froides dotées de tunnels de congélation. La majorité des chambres froides en Algérie ne sont pas ainsi équipées. Il faut aussi des unités de transformation, développer une politique de découpe qui n'est pas généralisée. Et pourquoi ne pas réfléchir dès à présent à une stratégie d'exportation, surtout pour nos voisins (Tunisie, Libye, Egypte). -Mais comment envisager l'exportation quand le marché local est perturbé ? Il faut commencer à intervenir au niveau de l'amont, de produire de telle façon à ne pas avoir des avaries ou un manque sur le marché. Maintenant, si on décroche des marchés à l'exportation on peut augmenter l'amont. Mais le faire sans avoir des débouchés, c'est une faute grave. Une perte sèche. -Pourquoi l'Etat ne régule-t-il pas les prix par l'importation, comme il le fait pour les viandes rouges par exemple ? Pour le poulet, le nombre des intervenants est important. Si on s'amuse à importer du poulet, on va éliminer beaucoup de postes de travail. Il y a beaucoup plus d'éleveurs en aviculture que dans la filière des viandes rouges. Le gouvernement veut sauvegarder ces emplois et c'est un créneau qu'il ne veut pas ouvrir à l'importation. Si on commence à le faire, la production nationale sera totalement détruite parce qu'on n'est pas concurrentiel en matière de prix. Cette idée est valable pour les viandes rouges importées, puisque leurs prix sont nettement inférieurs à ceux qui sont pratiqués localement. Mais pour les viandes blanches, c'est tout à fait autre chose. Si vous prenez le Brésil par exemple, c'est 1,2 dollar à la consommation et moins à l'exportation. On pourrait avoir du poulet du Brésil importé de 90 DA. Un tel produit signifie l'asphyxie totale de la production nationale. -Comment expliquez-vous qu'on ne puisse pas avoir une production sans interruption et à flux tendu ? Cela est lié à la qualité des bâtiments mis en place pour l'élevage. En période de chaleur, surtout au niveau des Hauts-Plateaux, la température dépasse les 45° ; si les bâtiments ne sont pas équipés de système de refroidissement, l'élevage ne peut pas réussir, et généralement ceux-ci ne sont pas dotés de ces systèmes. Peut-être que 10% à 20% des bâtiments répondent aux conditions d'élevage, mais les autres non. L'éleveur sait d'avance ce qu'il en est, et c'est pour cela qu'il cherche à éviter les fortes mortalités. -Le problème n'est-il pas aussi de maintenir un système de production archaïque ? Le secteur public continue à utiliser les anciens équipements mis en place en 1983. Ce n'est que maintenant que l'Etat a réservé des enveloppes financières pour remettre à niveau ces équipements. En revanche, pour le secteur privé, il y a une évolution, mais elle concerne les éleveurs qui ont investi dans de grandes capacités et qui disposent de hangars qui répondent à toutes les conditions. L'aviculture en Algérie est détenue à 90% par le privé, donc je ne pense pas que les 10% du secteur public puissent influer sur le résultat final. Par ailleurs, plus de 70% du privé est dans l'informel. Ce sont des gens qui ont construit des bâtiments et qui font de l'élevage, mais ils ne sont pas identifiés. Ce sont ces gens aussi qui sont pratiquement à l'origine de ce problème du déséquilibre du marché.