La communauté des artisans pêcheurs de Stidia plage, qui compte une soixantaine de membres, a décidé d'en finir avec les promesses en l'air des ministres et les atermoiements de la mairie. Ces jours derniers, le propriétaire d'une barque, qui n'en pouvait plus de la corvée quotidienne de mise à l'eau, a fini par prendre son courage à deux mains et de passer à l'offensive. En effet, après avoir longuement réfléchi, face à l'absence de tout soutien de la part des élus et des responsables locaux, comme il le dira sans ambages, ce marin pêcheur a franchi une étape dans sa longue quête d'un mieux-être. Avec ses propres deniers, réunis au bout de mille efforts, il s'en est allé louer un compresseur avec son marteau piqueur. Dans un bruit assourdissant, il s'est attaqué à la roche qui borde le petit abri naturel, afin, nous dira-t-il «d'aménager une place pour ma barque que je ne veux plus retirer du plan d'eau», ajoutant qu'il est «fatigué de faire cette corvée quotidienne, en plus de celle consistant à aller poser mes filets au large et de revenir ensuite pour les ramener à terre». Ici, à l'instar de soixante autres marins pêcheurs, il est inimaginable qu'une barque doive passer la nuit sur l'eau. Ce qui oblige les propriétaires à répéter tous les jours les gestes qui font mal à l'homme mais aussi aux embarcations qui sont hissées sur le terre-plein à la seule force des bras. Un autre pêcheur intervient pour souligner que «c'est une véritable corvée que nous avons portée à la connaissance de tous les responsables locaux ainsi que des membres du gouvernement afin que notre flottille puisse continuer à nous aider pour subvenir aux besoins élémentaires de nos familles. Cela fait plus de trois décennies que de nombreux responsables nous promettent la construction d'un abri pour nos barques. Nous n'avons pas demandé la lune, nous voulons juste qu'une petite digue soit érigée sur la plateforme rocailleuse qui sert d'abri naturel. Afin de mettre fin à notre calvaire en arrêtant ces vagues rebelles qui fracassent nos petites barques en polyester». Pendant deux décennies, poursuit un autre pêcheur, on nous a fait miroiter le projet de construction «du plus grand port de pêche de l'Algérie». Puis, au fur et à mesure que le temps passait, ce projet, au demeurant trop ambitieux et surdimensionné, aura fini par passer à la trappe. Même les promesses encore toutes chaudes de Sid Ahmed Ferroukhi – qui remontent à la dernière campagne électorale – continuent de défrayer la chronique. Le ministre, qui venait prendre connaissance du projet de la station aquacole que l'université de Mostaganem allait ériger non loin de là, en avait profité pour entendre les doléances habituelles des marins pêcheurs de Stidia. Faisant l'impasse sur le projet du «plus grand port de pêche d'Afrique», il avait ordonné que la mairie de Stidia se déleste d'une vieille bâtisse au profit des marins pêcheurs afin que ces derniers y entreposent moteurs et filets, ceci, dans l'attente de la construction d'un hangar en structure métallique. Une fois les lampions de la campagne électorale éteints, plus personne ne semble prendre en considération les engagements du ministre. Sur le mamelon qui fait face à la mer, la vieille bâtisse continue de tomber en lambeaux, tandis que les pêcheurs désespèrent de voir s'atténuer leurs exténuantes corvées journalières. C'est pourquoi, lorsque l'un des leurs a fait venir ce compresseur, ils étaient là autour de lui, solidaires de ses efforts titanesques pour s'ouvrir une brèche à même la roche et y abriter sa frêle embarcation. Ce robuste quadragénaire faisait peine à voir dans son combat contre la roche que le marteau piqueur avait de la peine à fendre. Car malgré les efforts soutenus du colosse qui manipulait le marteau, la roche offrait une résistance insoupçonnée. A ce rythme, il n'est pas certain que les efforts soit couronnés de succès, car il ne s'agit pas de grignoter en surface, mais d'aller au fond de l'eau afin de se frayer un tirant d'eau convenable d'au moins 1 mètre. Pourtant, à l'aide d'un brise-roche et d'une simple pelle mécanique, le bassin dont rêvent les pêcheurs de Stidia ne prendrait pas plus d'une semaine de travaux. Ce n'est pas à mains nues que l'on parviendra à domestiquer la bande rocheuse qui sert d'abri précaire depuis les temps immémoriaux. Et il faudra bien plus que ce marteau piqueur dont le bruit s'est avéré plus nuisible aux oreilles des habitués du coin que sur la roche, autrement plus résistante. Un représentant de la corporation, qui venait réparer les larges fissures faites par la roche sur sa barque, résumera toute la détresse de ses collègues en soulignant qu'à Stidia, je suis devenu un véritable chirurgien avec mon sachet de fibre en laine et mes flacons de résine. Rien que pour ça, dira-t-il, nous sommes prêts à construire, avec des moyens dérisoires, de quoi perpétuer ce noble métier. Y compris en taillant la roche par petits bouts, comme le faisaient nos ancêtres, voilà deux millénaires !