Lorsque Jean-Yves Le Drian et son équipe entrent dans le salon, le raïs est déjà installé dans son fauteuil. En costume trois pièces sombre, coiffé, le regard légèrement exorbité et la main gauche tombante, on peut voir dans son oreille droite un appareil auditif et l'homme s'exprime avec un micro relié à des haut-parleurs pour qu'on puisse l'entendre.» L'homme qui est décrit est le président Abdelaziz Bouteflika ; l'auteur de la description est l'envoyé spécial du Journal du dimanche, François Clemenceau, qui accompagnait le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, lors de sa visite à Alger. Le journaliste, qui a assisté à l'accueil de l'hôte d'Alger à la résidence d'Etat, à Zéralda, rend compte, dans un article, de l'état physique du président algérien, qui devient une vraie curiosité tant le secret entoure son état de santé. Le journaliste, qui était dans les coulisses, fait remarquer que l'entretien entre officiels algériens et français a duré trois quarts d'heure ; il estime toutefois que dire que Bouteflika va mieux «serait exagéré». Le journaliste ajoute une autre précision qui renseigne sur une nécessité de préparer le Président à accueillir ses visiteurs : «Entre le moment où la délégation du ministre français arrive sur place et son accueil par le président algérien, il s'est écoulé près d'une demi-heure. Le temps sans doute de préparer l'arrivée de l'hôte des lieux», est-il souligné dans l'article du JDD. Un des participants à l'entretien parmi les officiels français confie au journaliste son appréciation de l'état du président algérien. Comme un diagnostic révélé au sortir d'une visite d'un malade duquel on guette le moindre signe d'évolution, l'officiel lui dit : «Il articule.» Et d'ajouter : «Il est lucide et comprend de quoi il retourne, mais on sent bien la fatigue.» Le journaliste estime pour sa part que le plus important pour le président Bouteflika est que la visite soit filmée par la Télévision algérienne et que «le grand public sache ainsi qu'il est capable de recevoir les hôtes de marque». Un exercice de marketing, sans plus, sauf que l'image vendue n'est pas rassurante, elle est même affligeante et loin d'offrir aux Algériens un symbole de la force de la République. «Il prendra des forces pour répéter cet exercice dès le début du mois prochain pour recevoir le patron du Quai d'Orsay, Laurent Fabius», ironise le JDD. Le journaliste trouve étrange à voir «cette stabilité s'incarner, mardi, dans un personnage si affaibli et à peine audible. Dans la résidence de Zéralda, mi-hôtel mi-hôpital, où tout a été conçu pour faciliter l'usage d'un fauteuil roulant, le temps semble s'être arrêté». Tout est dit dans cette phrase qui dit toute l'opacité entourant le fonctionnement du régime algérien. Au-delà de l'état de santé du président de la République, qui pose de sérieuses questions sur l'état de la gouvernance du pays et offre aux invités étrangers toute latitude de disserter sur cette curiosité mondiale, il est à se demander quelles seront les conséquences d'une telle situation sur l'avenir du plus grand pays d'Afrique.