Musulmanes et laïques en révolte est un ouvrage courageux dans lequel la parole a été donnée à vingt femmes arabes et africaines, musulmanes ou de culture musulmane. Elles y expriment leur indignation par rapport à la situation de la femme dans les pays du Sud en proie à l'intégrisme rampant. Cet ouvrage est remarquable car il déconstruit les préjugés sur les femmes dites soumises ou prisonnières à vie de tabous sociaux. Vingt femmes témoignent sur leurs conditions de vie à partir de pays comme l'Egypte, la Syrie, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Mali, le Liban, la Palestine ou la Somalie. Elles sont révoltées pour des raisons d'incompatibilité idéologique avec une frange de leur société respective qui prône l'intolérance. Elles s'expriment et racontent leur lutte contre toutes formes d'oppression, surtout celle de l'islamisme politique, haussant la voix contre ceux qui veulent réduire la femme à un corps qu'il faut absolument cacher. Certaines d'entre elles furent menacées physiquement par les islamistes à cause de leurs positions intransigeantes pour la liberté d'être et pour la laïcité, tout à fait compatibles avec l'Islam, une force et une originalité dans le discours. Ces femmes témoins évoquent le choc premier qui est de constater la banalité des comportements agressifs des hommes vis-à-vis des femmes, comme si ces dernières étaient les responsables de ces agressions, de par leur comportement qui est celui d'occuper l'espace extérieur qui n'est pas le leur, décidé par une idéologie rétrograde. Parmi ces vingt femmes, nombreuses sont celles qui ont reçu des menaces de mort de groupes fondamentalistes, tout simplement parce qu'elles refusent le diktat des obscurantistes. Ainsi, elles rejettent avec force ceux qui veulent imposer une vision obscurantiste de la société dans laquelle elles vivent. Elles réfutent une lecture restrictive de la religion, une vision d'un certain Islam qu'elles ne reconnaissent pas comme étant leur Islam, en tout cas pas celui vécu avec leurs parents et leurs grands-parents qui était un Islam de paix. Cet ouvrage est une véritable révolte, car tous les témoignages donnés à lire sont à méditer pour une seule raison selon moi : toutes ces femmes s'expriment avec une immense sincérité mettant à nu leurs blessures et ne demandant que la liberté d'être libres dans leur corps et d'évoluer dans la vie en tant qu'êtres humains responsables. Elles se veulent des témoins de leur temps, d'une époque déformée par un discours dangereux contre lequel elles s'élèvent et se battent : ces femmes s'appellent Ayaan Hirsi Ali, Djamila Benhabib, Sana Benachour, Nonie Darwish, Betty Lachghar, Fatym Layachi, Mouna Izzdine, Shahinaz Abdel Salam, Rym Mageed, Khadidja Chérif, Nadia Khiari, Shahenda Maklat, Dima El Joundi, Hayat Zirari, Malika Boussouf, Randa Kassis, Rama Yade, Wafa Sultan, Aminata Dramane Traoré. Toutes racontent leurs histoires personnelles, apportant leur point de vue et leurs visions de leur société. Elles proposent aussi des pistes pour un monde tel qu'il devrait évoluer. La force du message est surprenante de lucidité avec cette volonté téméraire à rejeter l'intégrisme dont le seul programme est fondamentalement l'enfermement des femmes. Deux d'entre elles sont à l'origine de ce livre : Monique Ayoun, journaliste et écrivaine née en Algérie, et Malika Boussouf, journaliste algérienne qui a à cœur un tel combat, elle qui fut, parmi tant d'autres, menacée de mort par les intégristes durant la décennie noire. L'idée de réunir ces témoignages est une force à démontrer. L'amère constatation qu'elles font est que «la femme est la proie d'un conservatisme religieux qui gagne du terrain au lieu d'en perdre» et donc il faut agir en profondeur et vite. Par ailleurs, l'idée de donner la parole à ces femmes qui combattent au nom de toutes celles qui ne peuvent pas le faire est louable, après l'amer constat que les sociétés du sud allaient dans le sens contraire de l'histoire. Toutes ces intervenantes réfutent l'idée qu'elles ne représentent qu'elles-mêmes, un argument avancé par leurs détracteurs. Musulmanes et laïques en révolte dément cette accusation en affirmant qu'elles viennent de milieux modestes comme Zazie Sadou qui, tôt, a pris conscience que les femmes étaient de ‘‘mahgourate'', des opprimées, d'où cette prise de conscience pour la lutte pour l'égalité. Ce qui frappe dans ces témoignages, c'est le rôle positif des pères de ces femmes en révolte. Ces derniers ont toujours encouragé l'éducation et l'émancipation de leurs filles et, paradoxalement, les mères sont présentées comme les gardiennes du temple machiste, prisonnières d'un schéma de pensée qui avantage les fils au détriment des filles, à quelques exceptions, comme la mère de Malika Boussouf qui «a désobéi aux codes d'honneur» et qui a décidé de ne pas se remarier, d'élever seule ses enfants avec une éducation où la liberté d'être n'était pas un vain mot. La marocaine Hayat Zirari reprend les termes de Simone de Beauvoir souvent citée : «on ne naît pas femme, on le devient», et c'est à partir de cet état que la «hogra» des hommes devient une réalité sociétale. Les témoignages ne sont pas tous pessimistes, car l'espoir est dans la révolte même comme le dit Aminata Traoré : «La persévérance dans le questionnement de la place des femmes finit par porter ses fruits» ; c'est ce qu'on souhaite pour une société juste, équitable et non sexiste. Benaouda Lebdai Monique Ayoun et Malika Boussouf, «Musulmanes et laïques en révolte», Paris : Hugo Doc, 2014.