Si l'on n'avait pas pillé leurs immenses richesses naturelles, ruiné leurs valeurs culturelles et sociales, les populations africaines n'auraient rien à craindre du XXIe siècle. L'Afrique est riche? C'est vrai, et tout le monde le sait. Mais à qui profitent ces richesses? À cette question, la réponse est confuse, emmêlée dans le langage spécial du bredouillement politique, institué dans un rapport très inégal colonialiste-colonisé, et maintenant entre Europe enrichie et Afrique appauvrie. Dans son nouvel essai L'Afrique humiliée (*), préfacé excellemment par l'économiste et homme politique sénégalais Cheikh Hamidou Kane (1939-2009), Aminata Traoré nous remet en mémoire toutes les raisons et tous les aspects expliquant «notre drame nouveau» dilué dans l'enceinte d'une Europe instable politiquement et économiquement et dont chaque Etat lutte pour un leadership terriblement disputé et de ce fait aggravant la crise mondiale. Née à Bamako, en 1947, dans une famille aux ressources fort modestes, Aminata Dramane Traoré donne dans ce livre la mesure de sa formation (économiste et sociologue), de son expérience dans la recherche universitaire et de l'écriture (essayiste), de directrice de nombreux projets et programmes d'études à caractère régional et international et de ministre de la Culture et du Tourisme du Mali (1997-2000), sous la présidence d'Alpha Oumar Konaré. La soixantaine révolue, la célèbre femme africaine debout face à l'injustice et à la spoliation systématisées en Afrique, avait déjà mis les pieds dans le plat, - comme dit chez nous le bon sens populaire pour exprimer la force de sa juste révolte contre l'insupportable: dêret elkar‘aïn fî l-gaç‘a. C'est que les Algériens ont lu ses ouvrages, tous d'une grande richesse de pensée et d'analyse rigoureuse, notamment son fulgurant essai intitulé Le Viol de l'imaginaire (2001), démontrant jusqu'à quel point «Nous les Africain(e)s, déclare-t-elle par ailleurs, sommes leurrés et nous nous leurrons nous-mêmes en nous regardant dans le miroir qui nous est tendu par les puissances occidentales et en nous gargarisant de mots.» Particulièrement, ce thème de la frustration, conséquence du mépris systématisé et du pillage au grand jour des richesses africaines par les Occidentaux (inlassablement exigeants et insatiables), ne peut cesser d'être exprimé d'autant que les pillages se déroulent «dans le cadre, observe Aminata Traoré, d'un commerce international dont les règles jouent en faveur des pays riches». En Europe, il n'y a pas d'unanimité à se servir du progrès technologique partagé, car aucun Etat ne semble capable de soulager l'Union de la crise, et à l'évidence de la crise générale qui secoue le monde à l'ère de la mondialisation. Aussi par ses recherches, ses travaux, ses interventions dans tous les domaines vitaux de son pays et par conséquent dans bien des domaines communs aux pays africains, Aminata Traoré apparaît-elle, à juste titre, selon la journaliste Fériel Berraies Guigny, «comme étant l'une des principales figures de l'alter mondialisme africain. La Malienne se bat sur tous les fronts: OGM, coton, privatisations, préservation du patrimoine culturel, actions de proximité». Cependant dans L'Afrique humiliée, l'auteur fait un réquisitoire sans concession, parfaitement argumenté, détaillant résolument les effets néfastes des relations entre la France et ses anciennes colonies. Elle démontre que «l'Afrique est meurtrie par la mondialisation, une tendance sauvage qui rouvre ses plaies et ajoute d'autres blessures à ses blessures.» Toutefois, elle tire encore du fond d'elle-même l'immense générosité de l'Africaine pour que son cri d'indignation, soit totalement d'amour. Son livre se présente comme une série d'articles liés serrés pour contribuer à donner un large panorama de sa vision d'Africaine sur l'Afrique, tout en étant convaincue que «Le pire est assurément à venir si nous ne faisons preuve de courage politique, d'esprit critique et de perspicacité dans l'analyse des erreurs d'appréciation et de stratégie qui sont à l'origine des crises qui secouent le monde». L'Afrique humiliée n'est pas une oeuvre inerte, un constat qui se plie devant une sorte de fatalité: c'est une révolte profonde, juste, puissante, résolue, convaincante et communicative. Face à la crise planétaire actuelle, Aminata Traoré incite les Africains à renouer avec la pensée critique et à s'émanciper. «Cette perspective» n'est pas à écarter, il faut oeuvrer en toute conscience à sa réalisation parfaitement possible. L'exemple navrant ou plutôt «l'état» navrant de ceux qui quittent leur pays pour aller ailleurs, notamment en Europe et plus précisément en France, et qui évidemment ne caractérise pas seulement le Mali, mais tous les pays d'Afrique - et bien sûr l'Algérie - doit trouver d'urgence sa solution de sauvegarde dans ces pays mêmes. Cette idée constante de l'auteur est soutenue par une conviction politique inébranlable et permanente réclamant «le courage politique, une vision stratégique et la volonté de changer radicalement la situation de subordination qui est celle du continent africain». Aminata Traoré pense qu'«Il s'agit de jeter les bases et d'édifier l'autre Mali, l'autre Afrique et l'autre monde avec deux jeunes dont l'un est en France et l'autre à Bamako». Les propos de ces jeunes sont très significatifs de leur désarroi. Ils sont poignants; ils constituent une juste conclusion à tout cet ouvrage L'Afrique humiliée; on les retrouve dans le chapitre intitulé «Au choix de la dignité et de l'espérance», - en voici un extrait: «Tu pars jeune et fort, tu as toutes les chances de ne jamais revenir ou de revenir vieux, usé et pauvre parmi les tiens.» (*) TITRE DE L'OUVRAGE de Aminata Traoré Editions Casbah, Alger, 2008, 295 pages.