Le taux de participation reste la véritable inconnue du scrutin présidentiel qui s'est tenu les 26 et 27 mai en Egypte. Le Caire (Egypte) De notre correspondante La scène est cocasse mais résume assez bien le principal enjeu de l'élection présidentielle. Une téléspectatrice égyptienne, jointe par téléphone sur un plateau télévisé, fond en larmes dès le premier jour du scrutin. Emue, elle interpelle Ahmed Moussa, le célèbre présentateur de la chaîne Sada Al Balad : «Je suis triste aujourd'hui, monsieur Ahmed. Les bureaux de vote sont vides, je ne sais pas quoi faire !» Le journaliste, gêné, tente vainement de la rassurer. Acquis à la candidature d'Abdelfattah Al Sissi, il rappelle que les Egyptiens ont encore une journée pour voter et que les caméras ne filment pas dans tous les bureaux de vote du pays. Comme la téléspectatrice, le gouvernement égyptien cachait difficilement son inquiétude à l'issue de la première journée. Dans la soirée, le Premier ministre Mohamed Mehleba a donné congé à ses fonctionnaires et prolongé d'une heure l'ouverture des bureaux de vote. Près de onze mois après l'éviction de Mohamed Morsi, le pays vit un scrutin réglé comme du papier à musique. Seulement deux candidats s'affrontent pour la fonction suprême et le nom du vainqueur est déjà connu depuis plusieurs mois. La seule incertitude tourne donc autour du taux de participation. «Il est l'élément le plus représentatif de cette élection, analyse Hassan Nafaa, professeur de sciences politiques à l'université du Caire. Al Sissi a besoin d'un fort taux de participation pour montrer qu'il est légitime et pour tourner la page de la présidence Morsi. Il faudra pour cela dépasser la participation du deuxième tour de l'élection présidentielle de 2012.» Lundi 26 mai, quelques heures après l'ouverture des premiers bureaux de votes, plusieurs présentateurs de télévisions applaudissent déjà «un taux de participation historique». «Il dépasse tous ceux enregistrés lors des précédents scrutins, avance même le journaliste Sayid Ali du quotidien gouvernemental Al Ahram. Les Egyptiens envoient un message fort aux Occidentaux qui n'ont pas compris ce qui s'est passé le 30 juin.» «Un bon présage», titre le journal Al Shorouk, reprenant le titre d'une chanson en vogue pour la campagne d' Al Sissi. Tourner la page Morsi Depuis la démission de Hosni Moubarak le 11 février 2011, c'est la septième fois que les Egyptiens sont appelés aux urnes. En janvier dernier, malgré un matraquage quotidien en faveur du «oui» au référendum sur la nouvelle Constitution, le taux de participation plafonnait à 38,6%. Les sondages montraient que les jeunes avaient largement boycotté le scrutin, contrairement aux femmes et aux personnes âgées. «Je demande aux jeunes, gardiens de l'avenir, de descendre dans les bureaux de vote aujourd'hui», lance solennellement un animateur radio à l'occasion du second jour de l'élection présidentielle. En juin 2012, Mohamed Morsi avait été élu avec un taux de participation de 51%, soit 26 420 763 votants. Mais la principale force d'opposition du pays est désormais absente du scrutin.Les cadres de la confrérie ont été emprisonnés, ses avoirs gelés et une grande partie de ses partisans arrêtés. Les Frères musulmans ne sont pas les seuls à s'abstenir. Une partie des révolutionnaires a également décidé de ne pas participer à une élection jouée d'avance pour le candidat de l'armée. «Nous nous sommes battus contre le Conseil des forces armées en 2011. Des copains sont morts», se souvient Ahmed Tuni, du haut de ses vingt ans. En novembre 2011, une quarantaine de jeunes avait été tuée lors de violents affrontements entre la place Tahrir et la rue Mostapha Mahmud. Pour les manifestants, les généraux devaient céder le pouvoir aux civils. Trois ans plus tard, un candidat issu de l'armée est en passe de devenir président de la République. Mais Ahmed Tuni et «ses amis du centre-ville» croient toujours à la révolution. Pour eux, Tahrir n'est pas si loin.