Les années Bouteflika ont installé l'affairisme sans aucun scrupule au cœur même du pouvoir. Les affaires de corruption – celles de Sonatrach en particulier – mettant en cause de hauts dignitaires du régime ont soudainement disparu de la chronique judiciaire algéroise. «Le traitement judiciaire de ces affaires en Algérie est pratiquement à l'arrêt», assène Djilali Hadjadj (lire l'entretien). Le mandat d'arrêt international lancé par le procureur d'Alger, Belkacem Zeghmati, depuis dix mois, contre l'ex-ministre de l'Energie, Chakib Khelil, sa femme, ses deux enfants et Farid Bedjaoui, n'est, à ce jour, pas encore exécuté. Un coup d'épée dans… le pétrole. Celui qui a régné durant une décennie sur le secteur énergétique court toujours. Il coule des jours tranquilles sans qu'aucune police ne vienne l'inquiéter. L'accusation suivie d'un mandat d'arrêt international de Khelil, ami du Président et membre du clan présidentiel, perçue comme une petite «révolution» dans les annales de la justice algérienne, a tourné court. Le quart d'heure de «gloire» de la justice algérienne aura vécu… Les juges, qui à un moment avaient «les mains libres», vite ont été rattrapés par les mœurs politico-judiciaires qui plombent le pouvoir judiciaire. Pour étouffer l'affaire Khelil et son clan, des pressions auraient été exercées sur le juge chargé de l'instruction afin d'annuler le mandat d'arrêt au prétexte d'un «vice de procédure». C'est le début de l'opération de sauvetage du «soldat Khelil». Alors que la «guerre» faisait rage entre l'entourage du Président et le Département du renseignement et de la sécurité, sur fond de crise de succession, des tentatives d'exfiltration de Chakib Khelil du dossier Sonatrach 2 étaient déjà engagées. Le témoignage du ministre de la Justice au moment de la mise en cause de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines a révélé l'ampleur du forcing politique contre la justice et du chantage fait à la chancellerie. «Si Amar (Amar Saadani), vous êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m'engageant à extirper Chakib Khelil de l'affaire Sonatrach 2, comme on extirpe un cheveu d'une pâte, selon votre expression», avait dévoilé Mohamed Charfi dans une tribune à El Watan du 8 février 2014. Le remaniement intervenu après l'intervention du secrétaire général du FLN, Mohamed Charfi perd son poste, prélude à une mise en veilleuse d'un des grands scandales de corruption à l'approche d'un scrutin présidentiel qui allait maintenir Abdelaziz Bouteflika au palais. D'aucuns pensaient que le quatrième mandat de Bouteflika allait être une impunité assurée pour les dignitaires du régime qui ont trempé dans la grande corruption. Les dossiers de Sonatrach 1 et 2, l'autoroute Est-Ouest et Khalifa risquent fort bien de moisir dans les alvéoles sombres de la justice algérienne. Ainsi, l'opinion publique algérienne est suspendue aux juges des pays comme l'Italie et les Etats-Unis, d'où peut probablement surgir la vérité. A Milan, le juge, Fabio De Pasquale, en charge des transactions douteuses entre Sonatrach et la société italienne Saipem, semble déterminé à mener son enquête jusqu'au bout. Il aurait reçu le soutien du président du Conseil, Matteo Renzi. Les scandales de corruption qui ont rythmé la vie politique ces dernières années ont dangereusement entamé la crédibilité de l'Etat. Alors que le déficit démocratique mine le pays, les années Bouteflika ont installé l'affairisme sans aucun scrupule au cœur même du pouvoir.