Si la justice italienne s'active à démêler l'écheveau d'une grave affaire de corruption qui a entaché Saipem, une filiale du géant pétrolier italien ENI, la justice algérienne semble prendre tout son temps. La justice italienne vient de lancer un mandat d'arrêt international contre Farid Bedjaoui, le complice de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, et Réda Hemche, son homme de main et ancien chef de cabinet de l'ancien président-directeur général de Sonatrach, Mohamed Meziane. Ils sont impliqués dans les affaires de corruption et les scandales qui ont éclaboussé Sonatrach. Farid Bedjaoui, neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, a affirmé au responsable de l'ingénierie et de la construction au sein de Saipem, Pietro Varone, qui a fait l'objet d'une arrestation préventive, qu'«il remettait l'argent à Chakib Khelil». Suffisamment de preuves sur l'implication jusqu'au cou de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines et pilier, durant dix ans, de l'Exécutif du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika. Si la justice italienne s'active à démêler l'écheveau d'une grave affaire de corruption qui a entaché Saipem, une filiale du géant pétrolier italien ENI, la justice algérienne semble prendre tout son temps. Si prompte à condamner un journaliste, s'autosaisir pour des broutilles, mais trop molle pour s'attaquer à un «gros poisson», surtout s'agissant d'un ministre «du clan présidentiel». Chakib Khelil circulait comme bon lui semblait quand l'affaire a éclaté au grand jour. Des responsables de Sonatrach ont été placés sous mandat de dépôt, d'autres sous contrôle judiciaire, mais aucun juge n'a convoqué Chakib Khelil. Des rumeurs avaient même circulé sur la présence de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines en Algérie sans qu'il ne soit inquiété. Il bénéficie certainement d'une véritable protection en haut lieu. Pis encore, il y avait aussi des informations selon lesquelles, il a été exfiltré. Chakib Khelil et son complice Farid Bedjaoui sont cités dans d'autres affaires de corruption, entre autres celle liée aux marchés obtenus en Algérie par les Canadiens de SNC-Lavalin. L'argent est transféré dans les paradis fiscaux du Panama et de Hong Kong. Au rythme des scandales révélés, surtout par les juges italiens, les Algériens observent médusés l'étendue du désastre qui touche la première entreprise du pays. Beaucoup se posent la question : pourquoi la justice algérienne est si lente à réagir à des affaires qui engagent sa crédibilité ? Les personnes impliquées sont-elles protégées ? Sans aucun doute. Chakib Khelil a été un des hommes de confiance et un pilier du régime mis en place par Abdelaziz Bouteflika, qui l'a d'ailleurs maintenu au même poste de ministre d'un secteur aussi sensible dix années durant. Certains soupçonnent, en effet, le clan présidentiel de constituer une barrière de protection pour un super ministre qui visiblement a pourri le secteur, dont il avait la charge. Mohamed Charfi, le ministre de la Justice, affirmait récemment qu'il y a une liste de 90 personnes impliquées dans l'affaire Sonatrach. Plus grave, le garde des Sceaux parlait d'un véritable réseau international. Pas plus. La justice algérienne, visiblement débordée par le travail des juges italiens, finira-t-elle par se secouer et s'attaquer aux hommes-clés de la corruption au sein de Sonatrach ? Ou continuera-t-elle à ignorer les têtes de pont de ce phénomène, parce qu'ils font ou ont fait à un moment donné partie du dispositif du pouvoir mis en place par le président Bouteflika ? Farid Bedjaoui, selon des informations publiées dans la presse, menaçait de rendre publique la liste des gens qui ont «mangé» avec lui. Qu'attend, en fait, les juges algériens pour faire la lumière sur les graves affaires de corruption qui ne touchent pas uniquement Sonatrach mais plusieurs secteurs de la vie nationale ? La maladie du chef de l'Etat a relégué les scandales de la corruption au second plan. Et la justice algérienne a certainement joué en sa faveur cet intermède. Pourtant, il y a vraiment de quoi s'inquiéter, d'abord sur l'ampleur du désastre de la corruption et surtout aussi sur le niveau des responsables qui sont impliqués. Devant le péril, point de pudeur. La justice algérienne, dont on soupçonne la dépendance vis-à-vis de l'Exécutif, risque de se discréditer encore plus qu'elle ne l'est déjà par la nouvelle tournure des événements et à la vitesse avec laquelle évolue l'affaire Saipem-ENI au parquet de Milan (Italie).