Je vous apporte le salut de la Révolution algérienne » : c'est par cette sortie impromptue d'André Mandouze, en plein cœur de Paris — c'était à la salle Wagram en 1956 — que j'ai pris la mesure de l'engagement exemplaire de cet ami fervent de l'Algérie. Un engagement au long cours, arc-bouté à une logique sans faille, celle de la cohérence avec soi et avec l'idéal de vie qu'on s'est choisi. Guidé par La Raison et la grâce — titre de sa thèse sur saint Augustin — ce militant chrétien passa d'une résistance à l'autre — c'est le titre du premier volume de ses mémoires — c'est-à-dire de la résistance contre l'occupant nazi en France à la résistance contre « l'aliénation colonialiste » — en Algérie. Débarqué en janvier 1946, le résistant André Mandouze découvrit vite en Algérie ce que le système colonial a d'essentiellement boiteux et anachronique. Dès lors, s'imposa à lui un nouveau combat, inspiré par les mêmes principes de justice et de dignité qui animèrent le jeune résistant français. Combat qui ne devait plus le quitter. Sacrifiant sa tranquillité, défiant conformismes et tabous de « l'Algérie française », André Mandouze fit scandale. Face aux ultras, il fit impavidement prévaloir ses convictions, et ne cessa de rendre justice au peuple algérien en soutenant, avec une rare vigueur, sa lutte émancipatrice. Pour mieux faire connaître celle-ci, il publia en février 1961 sa Révolution algérienne par les textes où s'affirment la modernité et l'université d'une vaste entreprise de libération nationale au diapason des idéaux de l'époque et des normes internationales en vigueur. L'indépendance acquise, le combat ne s'arrêta pas pour autant. L'Algérie dut faire face à de nouvelles épreuves dans l'édification de son Etat et la mise sur pied d'une société citoyenne. La plus grave de ses épreuves fut celle du terrorisme intégriste. Là encore, André Mandouze ne se déroba pas. Il fustigea le terrorisme mais n'hésita pas en même temps à dénoncer ceux de gauche comme de droite qui, en France, ne cachaient pas leur complaisance au « qui tue qui » tout en se réjouissant à l'idée d'une prétendue « deuxième guerre d'Algérie ». Qu'on en juge par cet extrait d'une interview de fin 1998, véritable raccourci des positions d'André Mandouze sur ce sujet : « Et maintenant, on parle de ‘‘deuxième guerre d'Algérie'', alors qu'il s'agit d'une suite de la première. On en arrive à des paradoxes effrayants : par exemple, on prétend aimer les Algériens, et en même temps on réclame une commission internationale d'‘‘enquête''. cette prétention à s'ingérer est une espèce de maladie. En prétendant se rattraper des lâchetés et des silences du passé, ces pseudo-médiateurs aggravent la situation en hurlant avec les loups. Et on tombe dans le conformisme le plus absolu, en identifiant la démocratie au formalisme électoral ou en n'accordant que 50% du drame aux massacres et en faisant une lecture ‘‘fifty-fifty'' des événements. » Ce jugement percutant, André Mandouze lui donnera sa suite logique en apportant son courageux témoignage au procès intenté à Paris en juillet 2002, par le général major Khaled Nezzar contre l'intégrisme et ses alliés manipulateurs. * « André Mandouze ou le parti pris de la vérité ». Intervention de Rédha Malek à l'occasion de l'hommage à André Mandouze (Bibliothèque nationale, El Hamma, 27 juin 2006).