André Mandouze, illustre écrivain, spécialiste de la pensée augustinienne, est décédé avant-hier en France, à l'âge de 90 ans. Ceux qui l'avaient côtoyé l'ont toujours présenté comme un homme d'une profonde conviction, allergique aux compromissions et aux conformismes. En intellectuel engagé, il fut en première ligne de tous les combats du XXe siècle. Au nom des valeurs chrétiennes, il a défendu la vie contre la mort, la raison contre la bêtise et le respect de l'homme contre la négation de l'homme. Lui-même aimait à se définir comme « un chrétien qui agit ». Né le 10 juin 1916 à Bordeaux, Mandouze enseigna le latin à la faculté centrale d'Alger de 1945 à 1956. En parallèle, il dirigeait, dans la clandestinité, les cahiers de Témoignage chrétien. En 1947, il fut le premier à écrire dans « Esprit » deux articles dénonçant la répression atroce qui s'abattait sur les Algériens. Mandouze fut également collaborateur à l'Association de la jeunesse pour l'action sociale et président du Comité d'action des intellectuels algériens. En 1950, il lança la revue Consciences algériennes, puis Consciences maghrébines (1953). Le comité de rédaction de cette dernière revue était composé, entre autres, de Françoise Becht, Réda Bestandji, Pierre Chaulet, Mahfoud Keddache, Mohamed-Salah Louanchi, Jean Rime et Pierre Roche. Dans le numéro 1 de la revue, il écrit un célèbre article contre toute forme de colonialisme dont voici un extrait : « Le colonialisme sévit en Afrique du Nord, terreur au Maroc, ratissage en Tunisie, truquage “calme” et étouffement des libertés en Algérie : la machine coloniale grippe dans tous ses rouages. Au Maghreb comme au Kenya, à Madagascar comme à Porto Rico, en Indochine comme en Afrique du Sud. » André Mandouze a rallié la cause algérienne très tôt et côtoyé de grandes figures nationalistes algériennes, notamment Ferhat Abbas, Abane Ramdane, Benyoucef Benkhedda... Accusé de « haute trahison », il a été expulsé d'Algérie en 1956. Le 27 janvier de la même année, il déclara à la salle Wagram : « Ce matin encore, j'étais à Alger, et je vous apporte le salut de la résistance algérienne. » Son engagement aux côtés des combattants de libération nationale lui valut une incarcération en France. En 1961, à partir de documents fournis par le FLN, il écrit « la Révolution algérienne par les textes ». Ce document servira d'ailleurs de référence aux nationalistes algériens lors des négociations d'Evian. Pour rappel, André Mandouze avait été condamné à mort par les nazis puis par l'OAS. « Il est difficile d'être un homme honnête, d'être un homme politique, d'être un homme social », avait-il estimé. Mandouze ne se faisait pas de doute : « Si j'avais été en Algérie au moment où le FIS allait prendre le pouvoir, j'aurais été tout pareil, condamné à mort. » La chose qu'il répugnait le plus est l'utilisation de la religion à des fins politiques. « La perversion de ce qui est grand est la pire des choses. Je ne peux pas admettre les islamistes, les intégristes juifs d'Israël ou les intégristes chrétiens. C'est la même chose... », avait-il déclaré dans un dernier entretien paru sur El Watan. Cet intellectuel, qui se revendiquait tant de la France que de l'Algérie, avait toujours dit que « ces deux pays, différents soient-ils, doivent progresser dans la vérité, l'un et l'autre. On n'arrange pas la vérité, on se soumet à la vérité ». André Mandouze est l'auteur de nombreux ouvrages, notamment Mémoires d'outre siècle, un livre autobiographique axé essentiellement sur la Révolution algérienne.