Faut-il se réjouir ou se désoler du taux de 51% de réussite au bac ? Les autorités pavoisent, imputant ce chiffre qu'elles qualifient d'« exceptionnel » à la réforme initiée dans l'éducation. Les observateurs avertis restent eux dubitatifs : le saut de 40% par rapport à l'année dernière est trop spectaculaire pour relever d'une réforme qui s'est limitée à la suppression du rachat et à la mise en place d'un nouveau système d'évaluation. Il s'agira pour les spécialistes de faire la part des choses, de distinguer entre ce qui est pédagogique et ce qui relève d'autres considérations, y compris la politique. S'ils excluent des causes externes à la pédagogie et à la science, alors on pourra dire que les CEM et les lycées d'Algérie sont sauvés, qu'enfin la qualité commence à y entrer, au bénéfice de l'université et de l'économie tout entière. Mais force est de constater que les arguments qui plaident en faveur de cette dernière thèse ne sont pas légion. Ils sont même inexistants au vu des contraintes qui pèsent lourdement sur le système d'enseignement secondaire : manque d'enseignants, insuffisance de qualification de l'encadrement, surcharge des classes, programmes peu adaptés aux standards internationaux, outils pédagogiques rares, etc. A l'intérieur du pays, plus les lycées et les CEM sont situés dans les zones déshéritées et/ou enclavées, davantage les carences sont pesantes. Dans les villes, les structures des « beaux quartiers » sont quelque peu mieux loties que celles, bien plus nombreuses, des banlieues ou de la périphérie. La crise sécuritaire, financière et morale des vingt dernières années a frappé de plein fouet le monde de l'éducation qui a laissé des centaines de milliers de jeunes sur le carreau. Une autre raison de ne pas trop pavoiser sur les résultats du bac 2006 est l'existence de 49% d'élèves mis en échec, c'est-à-dire des dizaines de milliers d'adolescents livrés à la rue. Ils seront autour de 200 000 à venir grossir les rangs, au mieux des hittistes, au pire des délinquants. Entre les deux, quelques-uns trouveront des stages, d'autres se rabattront sur des petits métiers de misère. Mais tous partagent une chose : ils ont l'âge du savoir, du rêve et d'une certaine insouciance. Vingt ans et déjà l'avenir qui se bouche devant eux. Peut-on dire qu'ils ont été de mauvais élèves ou des cancres en ne décrochant pas le bac ? Ce drôle de diplôme a les allures d'une machine infernale de production de l'inégalité, avec la bénédiction de l'Etat.