-Les consultations sur le projet de révision de la Constitution ont été entamées hier, malgré le boycott de l'opposition. Le pouvoir ira-t-il au bout de sa logique pour mener cette réforme ? Le pouvoir est dans une logique de non-recul sur ses principaux projets. La révision de la Constitution est l'une des principales promesses électorales de Bouteflika sur laquelle il n'est pas près de revenir en arrière. Le ton a déjà été donné dans le communiqué de la présidence de la République, qui met en avant le nombre important d'invitations qui ont reçu une réponse favorable. Il a parlé de 52 partis sur les 64 invités, de 30 personnalités sur les 36 invitées, de toutes les associations et organisations et les 12 professeurs sollicités. Sur le plan arithmétique, c'est une réussite pour le pouvoir. Sur le plan politique, c'est autre chose, car il y a également la question de la représentativité qui est posée. Mais le pouvoir, malin qu'il est, ne joue pas sur ce registre. Ce qui l'intéresse, c'est de dire à l'opinion publique que la majorité des invités participent à ces consultations qui sont beaucoup plus une formalité qu'une démarche de fond pour une fameuse «Constitution consensuelle» mise en avant. -Ces consultations ne sont donc, pour vous, qu'une mise en scène pour donner du crédit à un projet déjà ficelé… Absolument. La nouvelle Constitution est déjà faite. Ces consultations serviront d'alibi pour crédibiliser une démarche fortement contestée par de larges secteurs de l'opposition. Il y aura quelques concessions pour certains soutiens du pouvoir, par exemple sur la question de la langue amazighe qui pourra bénéficier d'un statut renforcé, ou encore donner plus de pouvoirs au Parlement et au Premier ministre. Mais sur le fond, le texte ne sera pas différent des précédents concernant l'équilibre et la séparation des pouvoirs. Penser que l'on touchera au pouvoir du Président, c'est presque faire preuve de naïveté politique. Et même si on ne donne pas constitutionnellement tous les pouvoirs au Président, il finira, dans le climat politique actuel, par les prendre. Preuve en est que la Constitution actuelle ne lui donne pas tous les pouvoirs, mais dans la pratique, il les a, tous. -L'opposition, qui tente de s'organiser dans des blocs politiques, a-t-elle une chance de faire entendre sa voix et obtenir des concessions du pouvoir ? Les forces de l'opposition sont dans une dynamique assez prometteuse. Elles ont fait ce qu'elles n'ont pas réussi à faire depuis l'existence du multipartisme : s'unir autour d'un objectif commun en mettant entre parenthèses leurs divergences. Voir un parti de démocrates s'associer à des partis d'obédience islamiste dans une démarche politique pour une transition démocratique et pacifique est révélateur de la franche volonté de l'opposition d'unifier ses forces pour provoquer le changement souhaité. Je parle de l'initiative de la Coordination nationale pour les libertés et le changement qui prépare une conférence nationale pour la transition démocratique. C'est un élément d'espoir, car on sent qu'il y a une volonté d'aller de l'avant. Maintenant, est-ce que l'opposition réussira à faire entendre sa voix ? Tout dépendra de ses capacités de résistance et de son pouvoir à maintenir cette dynamique le plus longtemps possible. Car, le pouvoir ne fait pas de cadeau.Mais l'opposition reste divisée. Il y a d'ailleurs des initiatives multiples. Outre la Coordination dont vous parlez, il y a ce qui est appelé le Pôle des forces du changement regroupées autour de Ali Benflis. Le FFS ne s'inscrit dans aucune de ces deux démarches. Hamrouche aussi active autrement. Effectivement, il y a ce contexte de crise politique qui favorise toute sorte d'initiatives. Et quand on parle de l'opposition, il s'agit de partis qui sont sur le terrain depuis des années. Comme ceux de la Coordination, le FFS en est un. Mais ces derniers temps, il est moins tranché et radical dans ses positions qu'avant. On le soupçonne d'ailleurs de vouloir composer avec le pouvoir. La preuve, il a été sollicité pour intégrer le gouvernement, une offre que n'a pas eue le RCD par exemple. Pour Benflis, c'est un enfant du système qui ne veut pas de rupture mais un changement qui lui permettra de mieux se placer dans ce système dont il est issu. Autrement dit, il n'est pas sur la même ligne politique que ceux qui revendiquent carrément un changement radical. Il cherche à améliorer le visage du système actuel en opérant des changements en interne pour plus de libertés et de justice. Les partis regroupés dans la Coordination pour les libertés et la transition démocratique peuvent-ils mobiliser pour faire avancer leur projet ? Ces partis ont certes une marge de manœuvre minime. Mais ils peuvent, avec de la persévérance, faire évoluer les choses dans le sens d'un changement réel. Pour ce faire, ils ne peuvent compter que sur leurs troupes qu'ils doivent remobiliser. Car, bien que le contexte politico-social soit tendu, le peuple ne sortira pas dans la rue. Il ne sortira que si les forces de l'opposition réussissent à capter l'intérêt des citoyens en montrant du sérieux dans leur action et de la détermination dans leur engagement.