Diminué physiquement et éclaboussé par des scandales de corruption, le souverain espagnol connaît une fin de règne détestable qui est aux antipodes de l'image qu'il avait forgée des années durant. Bien que considérablement affaibli physiquement, le roi Juan Carlos, 76 ans, déclarait encore il y a neuf mois exclure toute idée d'abdiquer. La pression de l'opinion publique étant trop forte, il a toutefois fini par «capituler» hier. Et c'est le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, qui a communiqué la nouvelle, dans une allocution télévisée. M. Rajoy a expliqué qu'un nouvel amendement constitutionnel devait être voté pour permettre au souverain d'abdiquer en faveur de son fils, le prince Felipe. «Sa majesté le roi Juan Carlos vient de me communiquer sa décision d'abdiquer. Pour cela, une loi organique devra être approuvée. J'espère que le Parlement pourra procéder dans un délai très court à la désignation comme roi de celui qui est aujourd'hui prince des Asturies», a-t-il déclaré. Juan Carlos, qui a accédé au trône à la mort de Francisco Franco, en novembre 1975, a construit sa popularité en menant la transition de l'Espagne vers la démocratie. Avec le temps, sa cote de popularité a cependant beaucoup baissé. Le moins que l'on puisse dire aujourd'hui est qu'il a connu une fin de règne difficile et surtout humiliante. Cette fin de règne détestable est aux antipodes même de l'image qu'il avait forgée. Diminué par des soucis de santé à répétition et, pis encore, éclaboussé par des scandales de corruption en 2011, Juan Carlos faisait même face, depuis plusieurs mois, à la défiance de ses «sujets». En janvier, ils étaient 62% à souhaiter son abdication, et moins d'un sur deux (49,9%) à soutenir le régime monarchique, selon un sondage pour le quotidien El Mundo. La défiance des Espagnols Ses ennuis les plus grands il les doit surtout à sa fille, l'infante Cristina, qui a été mise en examen en janvier pour fraude fiscale et blanchiment d'argent. Ce n'est pas tout. Iñaki Urdangarin, l'époux de l'infante Cristina, un ancien champion olympique de handball reconverti en homme d'affaires, est aussi soupçonné d'avoir détourné 6,1 millions d'euros d'argent public avec son ancien associé, alors qu'il présidait, entre 2004 et 2006, une société à but non lucratif. Les Espagnols n'ont par ailleurs pas oublié que pendant qu'ils subissaient les affres de la crise économique en 2012, leur souverain s'est offert un très coûteux safari en Afrique pour… chasser l'éléphant. Devant la colère de la rue, Juan Carlos a dû d'ailleurs regretter publiquement sa coquetterie. Trop tard. Il s'agissait bien là de la goutte qui avait fait déborder le vase. La confiance était rompue. Malgré cela, le roi Juan Carlos a insinué, hier après-midi, que son départ n'avait aucun lien avec les frasques de la famille royale ou sa santé. Dans une allocution préenregistrée, il n'en a pas du tout parlé. Le souverain espagnol a surtout mis en avant des considérations politiques. Dans la foulée, il a souhaité un pouvoir royal rajeuni capable de relever les défis posés par la crise. Avec les épreuves infligées au pays par la crise économique qui a laissé «de profondes cicatrices dans le tissu social», «une nouvelle génération réclame, à juste titre, de prendre les manettes, de jouer un rôle de premier plan. Il faut tourner la page de ma génération pour une plus jeune prête à faire les réformes et à affronter les défis pour ouvrir une nouvelle ère d'espérance», a estimé le monarque. Juan Carlos qui semble vouloir tourner la situation à son avantage a ajouté que son fils «offrira la stabilité qui convient à l'institution monarchique. Il est mûr et prêt ». Ce que, par contre, ne dit pas le roi Juan Carlos c'est que le prince Felipe de Bourbon, 46 ans, n'aura pas la tache facile, surtout que des voix demandent aujourd'hui avec insistance de tourner la page de la monarchie. La formation de gauche Izquierda Unida et Podemos, la révélation des européennes, créée par des professeurs de l'université madrilène de la Complutense, réclament d'ailleurs un référendum sur la question. Des manifestations sont même annoncées. Dans la foulée, il ne faut pas oublier que la Catalogne demande également avec insistance son indépendance. Pour prendre de vitesse tout le monde, Mariano Rajoy a convoqué pour aujourd'hui «un Conseil des ministres extraordinaire» avec pour seul ordre du jour : boucler la succession le plus vite possible. Mais pour beaucoup d'observateurs, il ne pourrait s'agir là que d'une simple fuite en avant.