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L'Université, la tutelle, le CNES et les grèves (1re partie)
Publié dans El Watan le 10 - 07 - 2006

Nous allons, dans cet article, essayer de montrer comment les responsables de la politique de l'enseignement et de la recherche scientifique n'ont pas su apporter des solutions pour renforcer et impulser l'université comme moteur de développement et de progrès, et comment ils bafouent les lois sur les conflits sociaux qu'ils ont, eux-mêmes, faites.
Tout d'abord, pour comprendre la raison du conflit et le pourquoi des grèves, rappelons les principales revendications des enseignants universitaires qui sont restées presque les mêmes depuis 1991, et surtout précisées en 1996 :
Augmentation des salaires pour revaloriser le travail de l'enseignant-chercheur (signalons que nos collègues marocains perçoivent des salaires entre 800 et 1900 euros, c'est- à-dire quatre fois supérieurs en moyenne à ceux des Algériens) ;
élaboration d'un statut de l'enseignant conforme aux règles universelles ;
établir la priorité du pédagogique sur l'administratif ;
élections des gestionnaires universitaires ;
droit constitutionnel aux libertés syndicales ;
accès au logement. Par ces revendications, le CNES ne demande pas la lune, il exige seulement la revalorisation de la profession d'enseignant universitaire comme cela se fait partout. Il y a de l'argent pour cela. Parler de productivité comme dans une entreprise de production n'est pas sérieux. La société peut exiger des résultats de l'université, mais d'abord il faut y mettre les moyens. Nous allons montrer, dans une première partie, à travers un historique des grèves depuis l'ouverture démocratique d'octobre 1988, comment les pouvoirs publics ont de tout temps manœuvré pour ne pas répondre en fin de compte aux doléances des enseignants et comment ils ont agi pour ne pas tenir leurs promesses. Dans une deuxième partie, nous analyserons les rapports entre la tutelle et le CNES, le pourquoi de cette grève de mai 2006 ainsi que la situation actuelle à l'université.
Historique des différentes grèves
En 1999, dans un long article, intitulé « Des origines de la crise à la grève du CNES », paru dans La Tribune (des 18-19 et 20 février), nous avions fait l'historique des grèves de 1991 à 1998(3) dont nous rappelons ici quelques caractéristiques de manière succincte. Tout d'abord, notons qu'il y a trois grandes étapes dans l'évolution de l'université algérienne : la première, allant de l'indépendance (1962) jusqu'en 1971, caractérisée par les survivances de la période coloniale, la deuxième de 1971 au milieu des années 1980, caractérisée par l'application de la réforme de l'enseignement supérieure (RES.) dans le but d'algérianiser l'université et de l'ouvrir aux réalités nationales et la troisième des années 1980 à nos jours, marquée par plusieurs tentatives de réformes de type libéral. Les événements d'octobre 1988 ont permis à l'Algérie d'amorcer une ouverture sur les plans politique et social par la création de partis politiques, d'associations et de syndicats autonomes. A partir de 1989 et avant la grève de 1991, l'université avait vécu un bouillonnement sur le plan organisationnel par la création du Comité algérien contre la torture (CACT), du Mouvement universitaire démocratique de Constantine (MUD), du Cri d'Oran, de l'association nationale des professeurs et de maîtres de conférence (ANPMC) et du Conseil national des enseignants du supérieur (CNES).
Première grève ouverte
La toute première grève à l'université après l'ouverture politique a été déclenchée le 17 octobre 1991 à l'initiative du CNES, pas encore agréé, regroupant surtout les maîtres assistants et assistants. Caractéristiques de cette grève :
Durée 1 mois et 7 jours ;
matraquage des enseignants devant le palais du gouvernement un certain 26 novembre 1991 ;
suspension de la grève après les promesses de la présidence quant à la prise en charge des doléances des universitaires reconnues légitimes. Résultats de la grève :
Excuses quant à la répression du ministre des universités, feu D. Liabès ;
ouverture d'une enquête sur les responsables de la répression et sur le détournement de logements construits pour le compte de l'enseignement supérieur (sans suite) ;
agrément accordé au CNES en tant que syndicat. Promesses :
Quota de logements pour les enseignants ;
augmentation substantielle des salaires sous forme d'indemnités ;
intégration des instituts nationaux, dits hors MES, sous la tutelle de l'enseignement supérieur.
Période entre 1991-1993
Cette période avait été marquée par :
Des provocations à l'encontre du CNES ;
l'apparition du terrorisme ;
la non-tenue des promesses dont certaines s'expliquent, selon le gouvernement, par l'incohérence du statut de la Fonction publique et le manque de finances ;
un retard dans l'application de l'augmentation des salaires promise par le HCE (Haut Conseil d'Etat) ;
un blocage de la commission d'enquête sur le logement ;
la non-intégration des instituts nationaux, dits hors MES, sous la tutelle pédagogique de l'enseignement supérieur ;
d'autres problèmes spécifiques (pas d'aide matérielle au CNES, pourtant reconnu officiellement, problèmes à l'intérieur du CNES, etc.) ;
le passage de trois premiers ministres à la tête du gouvernement : S.A.Ghozali, B. Abdesselam et R. Malek.
Deuxième grève de 1993
Une deuxième grève avait été lancée le 18 octobre 1993, avait duré trois semaines et a été suspendue par le CNES le 6 novembre 1993. Vu la situation dramatique dans laquelle était plongé le pays, cette grève n'avait abouti à aucun résultat probant (sauf à un élargissement de la prime d'encadrement aux chargés de cours et aux maîtres assistants).
Période entre 1993 et 1996
Cette période avait été marquée par :
L'aggravation de l'insécurité à cause du terrorisme qui avait mis le pays à feu et à sang ;
une démobilisation des enseignants quant à la satisfaction de leurs revendications ;
un problème interne au CNES : celui de son secrétaire général (SG) de l'époque qui avait failli à sa mission en intégrant le Conseil national de transition (CNT) sans l'aval du bureau ;
une augmentation des effectifs des étudiants ;
une fuite massive d'enseignants à cause de l'insécurité et des menaces ;
un retard dans la satisfaction des revendications ;
d'autres problèmes spécifiques.
Troisième grève : la grande grève 1996
Ayant démarré de l'ouest du pays le 15 octobre 1996, puis officialisée le 2 novembre par le conseil national du CNES, elle avait duré jusqu'au 13 janvier 1997. Devant la situation catastrophique de l'université, les cinq principaux syndicats du supérieur (CNES, ANPMC, SNPDSM, SNAMSM et SNCP) avaient rédigé en commun un mémorandum de revendications, globalement les mêmes que celles de 1991et 1993. Bien que les revendications étaient reconnues légitimes, le gouvernement de A. Ouyahia, nouveau Premier ministre, n'avait donné suite à aucune de ces revendications sachant bien que cette grève avait été jugée grandiose par son ampleur, car elle avait touché tous les secteurs de l'enseignement supérieur y compris les hospitalo-universitaires. Pis, les menaces de grève illégale avaient été proférées par les autorités sans se référer à la justice, et une guerre de communiqués s'était installée. Grâce à l'existence d'une presse indépendante, les enseignants grévistes avaient pu faire passer leurs revendications à la société contrairement aux médias officiels qui ne divulguaient que des contrevérités. La grève avait été suspendue pour éviter le pourrissement et l'année blanche. Caractéristiques de cette grève
manipulation de la grève par son S.G. de connivence avec le pouvoir,
menaces de retrait de salaires,
rejet du protocole d'accord en dernière minute par le gouvernement d'alors,
promesse d'augmentation des salaires suivant les possibilités de l'état,
promesse faite pour l'élaboration d'un statut et pour la construction de logements pour fin 1997,
augmentation de l'audience du CNES,
engagement de l'Etat dans sa pérennité pour résoudre les problèmes.
Période entre 1996 et 1998
Cette période était marquée par
une diminution du danger terroriste,
une augmentation dérisoire des salaires,
un statu quo dans les revendications des enseignants, en partie dû aux pressions du FMI. sur l'Etat algérien,
l'aggravation des conditions de vie et de travail : la promesse d'un statut et de construction de logements n'a pas été tenue,
une fuite continue des compétences à l'étranger,
la tenue du congrès du CNES pour régler définitivement la question de la représentativité, (cheval de bataille des autorités).
Quatrième grève la longue grève de 1998/1999
Cette grève, ayant commencé au début de l'année scolaire en 1998 et s'étant terminée en 1999, avait duré 135 jours. C'était une grève très, très longue, et il fallait la gérer devant l'intransigeance et le mépris des autorités. Caractéristiques de cette grève
création d'une commission interministérielle pour casser la grève par la suspension des salaires et cela même pendant le mois de carême et, ce contrairement à la loi,
revendications reconnues légitimes,
création d'un fonds de solidarité pour les grévistes,
non respect de la procédure de règlement des conflits sociaux par la tutelle (mépris de la loi),
menace d'une année blanche,
suspension de la grève par décision de la commission nationale d'arbitrage (juridique),
« rattrapage » des quatre mois de grève en un seul, défiant toutes les normes pédagogiques,
bataille pour la validation ou non de l'année scolaire 1998-1999. Résultats.
toujours des promesses pour résoudre les problèmes,
obligation par la commission nationale d'arbitrage à la tutelle d'élaborer un statut de l'enseignant dans les plus brefs délais,
l'année scolaire avait été validée par l'administration sans l'accord des comités pédagogiques, et ce, contrairement aux normes universelles. (A suivre)
Références
1) a) « La recherche scientifique en Algérie existe-t-elle ? » par Mezghiche M et Lagha A, Le Quotidien d'Oran du 2 février 2006 ;
b) « Université, de la quadrature du cercle » par Bousseboua H, Le Quotidien d'Oran du 02 Mars 2006
c) Séminaire organisé par le journal El Watan
2) Décision de la commission nationale d'arbitrage des 23, 24 et 25 février 1999.
3) « Des origines de la crise à la grève du CNES. », La Tribune des 18 et 20 février 1999.
4) Le Quotidien d'Oran du 2 I mai 2006.
5) El Watan du 22 mai 2006.
6) - « Université, de la quadrature du cercle » par Bousseboua H, Le Quotidien d'Oran du 02 Mars 2006,
« Post graduation : soutenances, complaisances et manigances », par H. Rebbouh, El Watan du 22 mai 2006.
L'auteur est Enseignant à l'université de Boumerdès


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