Les bilans réguliers du Centre national des registres de commerce (CNRC) le montrent clairement. Le commerce de détail se taille la part du lion. Ce segment vient en tête des secteurs d'activité qui comptent le plus grand nombre de nouvelles entreprises créées durant les cinq premiers mois de 2014, selon le CNRC. Et ce, avec 37 441 immatriculations par des personnes physiques et 790 par des personnes morales. Déjà, en 2013, l'activité du commerce de détail de produits alimentaires était dominée par le petit commerce. La tendance, ces dernières années, est beaucoup plus à l'ouverture de petits magasins de vente de produits alimentaires qu'au lancement de grandes surfaces. Et dire qu'au milieu de la décennie 2000 l'Algérie avait connu l'ouverture de grandes surfaces, à l'image de Blanky représentant de la marque Promy et l'arrivée de la franchise française Carrefour (dans le cadre de l'accord signé avec Arcofina). Des expériences qui se sont soldées par des échecs avant de laisser la place à Cevital via sa filiale Numidis à travers l'ouverture de grandes surfaces (UNO) dont trois à Alger, notamment l'hypermarché de Bab Ezzouar lancé en 2008 et les trois autres surfaces de Aïn Defla, Bouira et Mostaganem. Le groupe Arcofina est venu renfoncer le faible réseau de la grande distribution en ouvrant officiellement la grande surface Ardis en 2012. D'autres opérateurs privés se sont également investis dans ce créneau de manière timide. Citons, entre autres, Tekia, Ek Khiar et Family shop. L'ensemble de ces espaces connaît régulièrement une grande affluence, particulièrement durant les week-ends. Les visiteurs et les potentiels clients viennent essentiellement des villes limitrophes où ce genre de commerce fait défaut. En effet, en dehors des grandes villes où sont implantés ces quelques hyper et super marchés, la grande distribution brille par son absence dans la majorité des régions. Le constat n'est pas nouveau. Mais il rappelle le retard flagrant accusé dans l'organisation de la sphère commerciale de manière globale et dans le développement de la grande distribution de manière particulière. Et dire qu'on ne cesse de parler de la nécessité de défraîchir le terrain à cette activité dont la phase embryonnaire ne fait que se prolonger. Depuis quelques années, cette activité commerciale nécessaire pour l'organisation et la régulation du marché n'arrive toujours à en finir avec les expériences éparses. Des conditions d'implantation difficiles à assurer Et pour cause, les moyens font défaut et le climat des affaires ne s'y prête pas vraiment, de l'avis de nombreux experts. Entre les blocages administratifs, les difficultés financières, le retard dans le développement du payement électronique et la non-disponibilité du foncier autour des grandes agglomérations les entraves sont nombreuses pour la mise sur les rails d'un maillon censé contribuer à la structuration du tissu économique du pays. Et pourtant, les études portant sur ce dossier n'ont pas manqué. Les textes de loi ont également connu moult modifications. Ils sont toujours en décalage avec la réalité du terrain. Le ministère du Commerce avait mis, pour rappel, en place en 2012 un texte (décret exécutif n°12.111 du 6 mars 2012) fixant les conditions et les modalités d'implantation et d'organisation de ces espaces commerciaux. Selon le texte en question, les grandes surfaces de type supermarchés et hypermarchés doivent réaliser au moins 60% de leur chiffre d'affaires en commercialisant des produits nationaux. Aussi, l'hypermarché doit disposer, entre autres, d'une surface de vente supérieure à 2500 m2 et d'aires de stationnement pour les véhicules d'une capacité minimale de 1000 m2. A indiquer également que l'implantation des grandes surfaces, type hypermarchés, est autorisée uniquement en dehors des zones urbaines, conformément aux instruments d'urbanisme. Or, ces conditions ne sont pas satisfaites pour booster ce secteur générateur d'emplois. Primo, la production nationale est loin d'être satisfaisante pour alimenter et approvisionner les grandes surfaces régulièrement. Les consommateurs l'ont d'ailleurs constaté. Les rayons des supérettes et autres espaces de vente sont inondés de produits importés. Le seuil dépasse largement celui fixé par la règlementation. Certains opérateurs se sont même spécialisés dans la commercialisation des marques étrangères uniquement pour répondre à la demande d'une certaine clientèle, notamment dans les quartiers huppés de la capitale. C'est d'ailleurs dans ces endroits que s'approvisionnent les hauts cadres de l'Etat et les classes sociales les plus aisées, laissant le petit commerce du quartier aux couches à bas revenus. Donc, déjà, une condition de moins à satisfaire. Pour le foncier, l'indisponibilité de terrains, notamment autour des grandes agglomérations est citée à maintes reprises comme frein principal au lancement de plusieurs projets dans la grande distribution. Les walis et l'Agence nationale de développement de l'investissement (ANDI) ont pourtant été instruits pour faciliter l'accès au foncier, sans que le problème ne soit réglé. Ce que les opérateurs économiques ont déjà relevé, comme l'a fait le patron du groupe Cevital, Issad Rebrab, qui a inscrit dans son programme une centaine d'espaces commerciaux. L'absence de la grande distribution freine la régulation selon le gouvernement Avec toutes ces lacunes, difficile d'arracher l'emballement des enseignes internationales, comme cela se fait dans les pays voisins. Difficile aussi de réussir le défi de la régulation de la sphère commerciale, d'assurer la traçabilité des produits et de renforcer le contrôle. Surtout quand deux ministres du gouvernement, en l'occurrence celui du Commerce, Amara Benyounes, et celui de l'Agriculture, Abdelwahab Nouri, conditionnent la lutte contre la spéculation et la réduction de l'inflation par le développement de la grande distribution. En effet, pour justifier la fluctuation des prix sur le marché des produits de large consommation, des fruits et légumes, les ministres du Commerce et de l'Agriculture n'ont pas trouvé comme explication que d'évoquer le problème de l'absence de la grande distribution en Algérie. «Le principal problème du commerce en Algérie, c'est l'absence de la grande distribution. Il faut absolument que nous arrivions à l'organiser», a affirmé, le 3 juillet dernier, Abdelouahab Nouri en visite à Blida «C'est avec les hypermarchés et les marchés de gros que nous pouvons réguler le marché. La faiblesse de la grande distribution est une des sources de l'inflation dans notre pays», a expliqué pour sa part Amara Benyounes, plaidant pour la réalisation de nombreux hypermarchés et de marchés de gros à travers le territoire national. Un plaidoyer qui intervient au moment où le parachèvement du plan quinquennal 2010-2014 portant organisation du commerce se fait attendre. L'UGCCA : «achevons d'abord le plan quinquennal 2010-2014» «Au lieu d'aborder de nouveaux projets, il faudrait d'abord se pencher sur le programme présidentiel du précédent quinquennat», estime à ce sujet le porte-parole de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), Hadj Tahar Boulenouar, pour qui le problème majeur réside dans l'adoption d'une politique claire et non dans les annonces pompeuses, à l'image des marchés parisiens dont l'idée ne semble pas emballer l'Union. «Qu'on sache ce qu'on veut faire du commerce national !» dira-t-il rappelant que seulement 30% du programme quinquennal 2010-2014 a été ficelé. Ce qui fait qu'un déficit important est enregistré avec 1000 marchés de proximité, 800 commerces de détail et 30 marchés de gros. «La réalisation de ces espaces de vente contribuera à l'éradication de l'informel, mais surtout à réduire l'écart entre les prix de gros et les prix de détail qui oscillent actuellement de 50%», expliquera-t-il. Pour M. Boulenouar, la construction de grandes surfaces nécessite de grands efforts d'investissement et ne règlera qu'une partie du problème de la fluctuation des prix.Et pour cause, les zones rurales, les petites villes ont toujours besoin de commerces de détail dont la réalisation devrait être accélérée. Une manière de dire que beaucoup reste à faire pour élaborer un schéma directeur national des infrastructures commerciales et définir clairement le système de distribution. Un système dont la déstructuration remonte, selon certains acteurs, à l'exemple de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), à la disparition des anciennes Galeries (Edipal, Edied, Edimco…) qui alimentaient, pour rappel, l'ensemble des points de vente. C'est en fait toute l'urbanisation commerciale qui attend d'être revue.