Si tu regardes trop longuement le ciel, une étoile tombera dans ton œil et ternira ton regard à jamais», cette vieille croyance populaire semblerait être presque d'actualité tant les difficultés sont grandes pour pratiquer l'astronomie amateur en Algérie. Il est, par exemple, interdit d'importer du matériel d'observation (jumelles, lunettes astronomiques…). Considérés comme matériel sensible, ces instruments sont saisis au niveau des douanes. Dans chaque aéroport, des salles sont remplies d'instruments qui ne verront jamais la voûte céleste… «On est obligé de ruser. C'est ridicule !» déplore le professeur Jamal Mimouni, président de l'association Sirius de Constantine. La ruse en question consiste à démonter l'instrument pour le ramener en pièces détachées dans ses bagages (les tubes et les lentilles ne sont pas interdits…) et de le remonter une fois chez soi. Par ailleurs, il est toujours possible de demander une autorisation spéciale au ministère de l'Intérieur. «Il y a une enquête approfondie, allant des services de police à l'armée, qui, pour nous, s'est systématiquement soldée par un refus», témoigne le président de Sirius. L'association constantinoise est pourtant l'une des plus réputées d'Algérie. De plus, cette association qui organise annuellement des colloques internationaux ne dispose, en guise de local, que de deux heures de présence dans une salle munie d'une armoire dans une maison de jeunes. Ainsi, on comprend mieux la difficulté de trouver des associations d'astronomie amateur actives sous nos cieux. Cela étant dit, tout n'est pas noir dans le ciel de l'astronomie amateur. Malgré les difficultés, quelques associations font un travail remarquable de vulgarisation de cette science hautement séduisante. L'association El Battani d'Oran (fondée en 1983) propose, en plus des sorties d'observation, des ateliers de fabrication d'instruments d'astronomie. L'association oranaise a reçu une distinction internationale pour avoir contribué à identifier l'origine météoritique d'un cratère à Maâdna (125 km au sud-est de Laghouat), nous apprend son directeur Kheir Eddine Dehar. A Béjaïa, de jeunes associations effectuent un précieux travail de proximité. C'est le cas de l'association Aster de Kherrata, membre du réseau international UNAWE pour la vulgarisation de l'astronomie auprès des enfants défavorisés. A Médéa, l'association El Bouzdjani propose également des activités d'initiation dont la prochaine sera «Les nuits des étoiles». Une occasion pour admirer les milliers d'étoiles filantes qui illumineront le ciel du 11 au 13 août (il s'agit plus précisément d'une nuée de météorites nommés perséides). A Alger, on trouve le club El Biruni, situé au centre de loisirs d'El Mouradia, dont le fondateur, Mahfoud Fellous, est aussi connu comme scénariste pour des pièces théâtrales et films portés sur la culture scientifique. Le Centre de recherches en astronomie, astrophysique et géologie (CRAAG) propose aussi, en marge de sa vocation de recherche scientifique, des activités de vulgarisation en direction du grand public. L'observatoire, juché sur les hauteurs de Bouzareah, ouvre épisodiquement ses portes pour des conférences et l'initiation à l'observation du ciel. Des dizaines d'associations Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les étoiles ne brillent pas pour tous. Pas avec la même intensité en tout cas. La pollution lumineuse des villes empêche de profiter de toute la beauté des astres. A l'inverse, le ciel le plus pur est observé dans le Sahara et le Sud algérien. L'activité en matière d'astronomie amateur y est d'ailleurs importante. A Ghardaïa, on peut citer l'association Al Kotb de Berriane qui active depuis 1989. Elle se distingue par sa forte présence sur la Toile avec un site régulièrement mis à jour (www.alkotbe.com) qui se décline même en application pour smartphone. Les habitants d'El Oued peuvent aussi observer les étoiles et pratiquer l'astrophotographie grâce à l'association Al kouba samaouia (La sphère céleste). En somme, il existe à travers le territoire national des dizaines d'associations et de clubs aux succès divers. Mais la star des associations reste Sirius, qui n'a décidément pas volé son nom (Sirius est l'étoile la plus brillante après le soleil). Sous la houlette du professeur Mimouni, cette association active sans discontinuer depuis dix-huit ans avec des événements fédérateurs tels que le Festival national d'astronomie populaire. Chaque mois de septembre, ce festival regroupe la plupart des associations nationales ainsi que de prestigieux invités étrangers. Malgré ses moyens rudimentaires, Sirius se distingue aussi par sa présence dans les médias, notamment à propos de sujets de société, comme l'annonce des dates de début et fin du mois de Ramadhan. A chaque Ramadhan, l'association publie un bulletin scientifique à propos de la visibilité de la Lune. Le dernier était d'ailleurs en contradiction avec la date annoncée par le Comité théologique et astronomique pour la détermination du début du mois de jeûne. Le professeur Mimouni explique que le bulletin de son association est fondé sur le consensus de la communauté scientifique mondiale, car «la visibilité de la Lune est une question scientifique», précise-t-il. Le président de Sirius regrette d'ailleurs que les scientifiques algériens ne s'impliquent pas davantage dans ces sujets de société : «Les scientifiques évitent d'intervenir dans les médias car les polémiques peuvent être préjudiciables à une carrière. Résultat : la voix de la science est absente.» Ce ne fut pas toujours le cas, et les noms arabes de dizaines d'étoiles témoignent d'un temps où l'astronomie était une science phare dans le monde arabo-musulman. D'ailleurs, plus que la pratique d'un loisir, l'objectif affiché par les associations d'astronomie amateur est la mise en valeur de la culture scientifique dans notre société. L'enjeu est crucial car, comme le précise le Pr Mimouni, «le silence de la science laisse la place libre aux charlatans.»