Des dizaines, sinon des centaines de citoyens prendront aujourd'hui le chemin d'Ifri pour visiter la maison qui a abrité le Congrès de la Soummam le lundi 20 août 1956 et a jeté les bases de ce qui devait être l'Etat moderne algérien. Le souvenir du Congrès de la Soummam sera encore une fois perpétué, à l'occasion de ce 58e anniversaire, par la seule fidélité de la société civile et d'une partie de la classe politique, en l'absence du moindre déplacement des hautes autorités du pays. Depuis de longues années, le régime en place boude cette date repère de l'histoire nationale. Il faut remonter au temps du parti unique pour trouver trace d'une célébration aux couleurs officielles avec la présence du raïs Houari Boumediene, à Ifri, au début des années 1970. Aucune autre présence présidentielle à Ifri Ouzellaguen n'interviendra dans la dizaine d'années qui suivra. Chadli Bendjedid, intronisé troisième président de l'Algérie indépendante en 1979, ne foulera le sol d'Ifri qu'au bout de son premier quinquennat. En 1984, les autorités du pays redonnent à cette date hautement historique ses droits. La région en a profité pour goûter à un semblant de développement. «La route d'Ifri a été goudronnée le temps d'une nuit», se souvient un motocycliste qui passait par là pour aller enseigner dans le village. En août 1984, Boudjemâa Rabah n'était pas qu'enseignant de musique, il avait pris part, comme réalisateur d'une opérette, à la soirée artistique de commémoration du 28e anniversaire du Congrès en présence du chef de l'Etat. Le déplacement de Chadli avait mobilisé les caméras de l'entreprise nationale de télévision. L'Unique est venue immortaliser les chants de Warda El Djazaïria louant Ifri et la révolution algérienne. Chadli, président démissionnaire en 1992, se fera représenter, une année ou deux ans plus tard, au milieu de ses treize ans de règne, par Mohamed Cherif Messaâdia, l'influent président du Comité central du FLN. Depuis plus rien. La mémoire collective ne retient aucune autre image d'officiels sur le site d'Ifri duquel on a dévié les lumières pour le jeter aux oubliettes. L'après Octobre 1988 promettait, dans le sillage de l'ouverture démocratique, la réappropriation de l'histoire et de l'identité nationales. Rien de tout cela. Ifri continue à être frappé de déni. Ni Liamine Zeroual, premier magistrat du pays entre 1994 et 1999, ni Ali Kafi, qui, avant cela, a pris la tête du Haut Comité d'Etat pendant deux ans, après la démission de Chadli et l'assassinat de Mohamed Boudiaf, n'ont été à Ifri. Ali Kafi, qui a été exclu du Congrès de la Soummam par Zighoud Youcef, a contesté de son vivant la portée de ce Congrès. Le premier président de l'Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, n'a pas été aussi congressiste. Le recul notable du terrorisme dans les années 2000, qui a balayé du coup le prétexte de l'insécurité, n'a pas libéré pour autant ni la voie d'Ifri ni les esprits au sommet de l'Etat. Au pouvoir depuis 1999, Abdelaziz Bouteflika n'a pas été à Ifri dans aucune occasion pendant ses quinze ans de règne qui continue. «Au pouvoir, il y a toujours des gens qui ont été de tout temps contre le Congrès de la Soummam», résume, accusateur, le responsable de l'organisation des enfants de chouhada d'Ifri-Ouzellaguen (voir l'article de N. Douici). La décrépitude et la dégradation, qui sont aussi le lot du PC de la wilaya III, se trouvant à Akfadou, signent le mépris affiché envers un haut lieu de la Révolution algérienne où planent les ombres de Abane Ramdane, Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Zirout Youcef, Larbi Ben M'hidi, Bentobal, Ali Mellah…