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L'euro, la mer et la Modus
RETOUR AU BLED AU DETOUR DES VACANCES
Publié dans El Watan le 17 - 07 - 2006

Modus ou pas Modus. La famille Sendjak s'est longtemps déchirée. Finalement, Ahmed, Lila et leurs trois enfants se rendront en Algérie par bateau. En Modus. C'est Ahmed qui a tranché. « Les vacances en Algérie sans voiture sont un cauchemar. Juste pour faire le tour de la famille, dispersée partout, il faut une dizaine de jours.
Sans voiture, strictement impossible », explique le nouvel adepte de la Modus, qui se transforme en commerciale pour l'occasion. « Elle est petite et spacieuse, à la fois haute, confortable et compacte. C'est exactement ce qu'il faut en Algérie. En plus, elle n'est pas chère. En Algérie, j'ai remarqué que les voitures importées étaient de moindre qualité. L'intérieur est trop rigide, inconfortable. La Modus, en enlevant la TVA, est une bonne affaire. » Lila, son épouse, sourit. « C'est un gosse ! Je ne vois pas pourquoi acheter une voiture et la laisser au bled. Autant en louer une sur place. » On comprend vite que ce scénario est interprété presque tous les ans par les mêmes acteurs. Les vacances en Algérie sont un casse-tête permanent. Comment s'organiser pour que l'été algérien soit clément ? Lila a son idée. Elle l'a concrétisée, il y a deux ans et demi. Un appartement à Béjaïa. « On se donne toujours une bonne semaine pour aller voir tous nos parents et ils sont nombreux. Après la corvée des visites familiales, direction Bougie et ses plages. C'est paradisiaque. Au programme : détente et repos. Et tout est accessible ou presque. » Le presque est important. Lila ne cache pas que ses vacances sont réussies à cause du taux de change sur le marché parallèle. Ahcène, lui, a fait ses comptes. « La parité euro/dinar est très fluctuante. Actuellement, l'euro s'échange entre 97 et 98 DA. On est loin des années 2002-2004 où l'euro caracolait à près de 130 DA. Le manque à gagner est très important. » Du coup, le budget vacances est revu à la baisse. Forcément. Seule la moitié de la famille ira en Algérie, les plus jeunes. Les deux étudiants resteront à Paris pour travailler. « Je ne peux pas faire face à leurs études. Cela devient très cher. En plus, ils ont de la chance de ne pas payer un loyer. De toute façon, ils ne sont plus intéressés par l'Algérie. Ils veulent voyager en Europe. Mourad, l'aîné, ne parle que du Canada et des grands espaces. Mon salaire est insuffisant pour prévoir des vacances chaque été », se plaint Ahcène qui enrage de rester en août en France. Il reconnaît que se rendre dans son village, dans sa grande maison, lui cause une certaine fierté.
Et ma maison alors ?
Salah est tout aussi fier de sa maison, perchée sur les hauteurs d'El Kseur. Il l'a construite quand l'euro affichait meilleure mine sur le marché parallèle. Une maison en pierre taillée, tient-il à préciser. Son unique problème est qu'elle reste désespérément vide tout au long de l'année. « Mes enfants ne veulent plus entendre parler de vacances en Algérie. Comme ils sont adultes, je ne peux pas les forcer à m'y suivre. C'est un énorme gâchis. J'habitais dans un gourbi. Ils sont trop gâtés. Refuser d'habiter dans une maison pareille ! Même leur maman est de leur côté ! Elle rechigne à m'accompagner pendant l'été. Oui, c'est du gâchis », s'indigne Salah. Retraité, il rêve de retourner définitivement en Algérie, mais la perspective de se retrouver seul dans sa grande maison suffit à l'en dissuader. Même équipée d'appareils ménagers high tech, elle le déprime par son silence pesant. Alors, comme les actifs, il s'y rend l'été. « Mon billet d'avion est réservé depuis belle lurette. Je n'ai personne avec qui discuter en France. En Algérie, je retrouve les amis de mon âge. A défaut de refaire le monde, on réveille la mémoire. » Malek a lui aussi acheté ses billets d'avion dès début mai. Il présentera son épouse, Cécile, une Française qui découvrira pour la première l'Algérie, à ses parents. Il appréhende le moment. Il parle de la beauté du pays, du voyage qu'il fera à Ghardaïa, de la splendeur du désert, mais évite toute allusion à ses parents. « Cela fait sept ans que je ne me suis pas rendu chez moi, à Hussein Dey. Je me suis marié entre temps, j'ai eu un fils, Aleksandre (avec un k) et j'ai pris quelques kilos. Je ne sais pas s'ils me reconnaîtront », ironise Malek. Ayant fui son pays pour des raisons de sécurité, il a longtemps vécu dans la clandestinité avant de pouvoir régulariser sa situation administrative. De petit boulot en petit boulot, il a usé sa patience sur les marchés. Dans un moment de confidence, il dira qu'il a peur d'être obligé de loger sa petite famille dans un hôtel. L'appartement de ses parents est trop exigu. Son frère aîné, marié et deux enfants, squatte l'unique chambre disponible. Ses frères dorment dans le salon. Malek sait que ses vacances auront lieu nécessairement hors de la maison paternelle. Il prépare donc Cécile à un tour d'Algérie : Alger, Ghardaïa et Béjaïa. « Les parents, le désert et la mer. » Il a peur de passer pour un frimeur alors que son odyssée est rendue « indispensable par réalisme ». Nna Aldjia ne pose pas de questions. Son voyage a été programmé à la journée près. Elle n'a qu'un seul objectif : trouver une femme pour son fils. Pas question que Hanafi, la prunelle de ses yeux, se marie avec une fille d'ici. Comprendre une Française, ou pire une Algérienne vivant en France. Pas sérieuses, trop libres. Non, il faut une fille de bonne famille du bled. Nna Aldjia avoue qu'elle a deux filles, toutes deux élevées en France. « Mais ce n'est pas la même chose », croit-elle expliquer. Non, non, Hanafi mérite mieux. D'ailleurs, elle part avec une liste. Sa sœur, installée en Algérie, lui a préparé le terrain. Alors, attention, pas de moment à perdre. Les vacances, c'est pour l'année prochaine si elle trouve la perle rare. Ce sera un grand mariage, « avec de la musique et tout et tout ». Non, non pas n'importe quelle fête ! Elle serait grandiose. Tant pis si le principal intéressé ne le sait pas encore. Il le saura toujours assez tôt. Rendez-vous l'année prochaine.


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