Evénement historique, la Révolution du jasmin a suscité beaucoup d'espoir. Elle est venue mettre fin au règne du tyran Ben Ali qui avait excellé dans l'art d'opprimer son peuple depuis plusieurs décennies. Inattendu, les étincelles de cette révolution se sont répandues dans toute la région. Si la Tunisie s'en sort tant bien que mal, d'autres pays connaissent le chaos tant que leurs peuples n'ont pas été «culturellement» prédisposés à accueillir un tel changement. Ces peuples se sont retrouvés, du jour au lendemain, «nus face à un miroir», pour reprendre l'expression de l'intellectuel libyen Khaled Mattawa. Il était donc facile que ces révolutions soient aussitôt récupérées par les forces réactionnaires et/ou les forces de l'impérialisme et de l'islamisme qui ont mis la Syrie, la Libye ou encore l'Egypte à feu et à sang. Le Printemps arabe est devenu hiver et les régimes autoritaires, épargnés par les révolutions, se sont davantage renforcés. De l'extérieur, la Tunisie donne l'impression de s'en sortir malgré la crise économique et la menace terroriste permanente. Mais si ce pays s'est symboliquement libéré de la dictature, car désormais ses citoyens sont libres de s'exprimer, de s'organiser, de créer, il n'en demeure pas moins que la Tunisie reste prisonnière de certains fléaux que seule la culture peut endiguer. Ainsi, la diversité culturelle continue d'être considérée, par des intellectuels tunisiens, comme une menace pour l'unité nationale et non comme une richesse, ce qui génère de nombreuses crispations communautaires, comme par exemple la création, en 2013, de «l'Association de défense des Noirs» qui n'aurait pas existé si justement la culture de cette minorité était reconnue, promue et protégée par tous. Jamais, à travers mes déplacements dans le monde, je n'ai vu un racisme aussi nauséabond que celui que j'ai constaté en Tunisie, celui que subissent quotidiennement les Libyens qui ont fui la guerre. La révolution tunisienne était sociale. Elle n'était pas culturelle, car elle n'est pas venue à bout de l'intolérance et de la peur de la différence. Mais rien n'est perdu, car en Tunisie, une jeunesse éduquée et consciente de la dangerosité de la situation œuvre pour changer les mentalités à travers l'art et la culture. Cette jeunesse est en train de faire une révolution qui devait être accomplie avant même la Révolution du jasmin.