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Le défi d'une révolution culturelle
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 01 - 11 - 2011

Après le totalitarisme, place à une révolution culturelle. Après l'effondrement du pouvoir totalitaire, les sociétés arabes ont besoin, aujourd'hui plus que jamais, d'une révolution culturelle, seul rempart aux reflux conservateurs, aussi bien celui des résidus de l'ancien système politique totalitaire déchu, que celui d'un potentiel totalitarisme sous couvert de l'Islam (islam) politique.
A l'exemple des Etats où la transition démocratique est déjà amorcée et dont les forces de reflux continuent à exercer une forte résistance au changement, que seule une révolution culturelle volontaire peut annihiler.
LE «REFORMISME» COMME PARADIGME, CE «REFOULE» DES SOCIETES ARABES !
Pour éviter à la société et aux futures générations de se consumer par une pathologie schizophrénique, qui découlerait d'une prise en otage de la libre citoyenneté dans son expression de liberté individuelle, et la soumission à un «néo-totalitarisme» issu d'un «réformisme» de façade, sous couvert d'un Islam politique modéré, qui maintiendrait l'individu au stade d'une conscience pré politique, et devant le silence des élites intellectuelles, il conviendrait que les citoyens cultivés et engagés dans la construction d'un Etat démocratique, fondé sur les droits de l'homme et la liberté de conscience, puissent s'engager franchement dans une dynamique de sensibilisation, envers leurs concitoyens, pour une révolution culturelle permanente, seul rempart a ces tragédies communes au monde arabe. À commencer par démasquer et dénoncer toutes sortes de saltimbanques et déconstruire toutes sortes de rhétoriques émanant d'une certaine catégorie de l'élite, embusquée derrière les ruines du nationalisme conservateur agonisant. Attendant leur tour pour s'emparer de la place publique, dans l'habit d'«historiens d'occasion» comme dirait Abdellah Laroui dans son histoire du Maghreb et en brandissant un «bricolage» idéologique selon la terminologie de Claude Levi Strauss, qu'amplifient des médias «provinciaux», tout autant d'occasion et tout autant embusqués pour des perspectives de compromis inavoués. Faisant la promotion d'un obscurantisme éclairé et aveuglant, profitant à l'occasion de l'état de conscience pré pré-politique des populations dans lequel elles ont été contenues, par un système éducatif réactionnaire et par une répression aveugle à chaque fois qu'une pulsion de désaliénation s'est manifestée sous forme d'un retour du refoulé. L'intellectuel doit s'engager par une analyse et un discours critique et doit refuser de cautionner sans examen critique tous discours et actions du pouvoir, ainsi que toute convention sociale et sens commun traditionnel. Le rôle des intellectuels et des citoyens cultivés devrait être sinon de faire preuve de pédagogie en contribuant à l'éducation politique des populations laissées à leur sort, pour rattraper le déficit en la matière, engendré par les stratégies de leur dépolitisation par les «coalitions» prédatrices dominantes et pallier l'inefficacité des partis politiques qui revendiquent pourtant un projet de société contre l'immobilisme, l'obscurantisme et les injustices sociales.
En Algérie, l'état des institutions scolaires, universitaires et de recherche scientifique, celui généralement de la culture ont atteint un tel seuil d'insignifiance, que tout doit être repensé et restructuré à la base. Des pans entiers du savoir nécessaire à la formation de base du citoyen sont totalement absents des programmes, tels que, l'éducation civique, l'enseignement des droits de l'Homme, de l'histoire sur la base de méthodes scientifiques plutôt qu'apologétiques, une éducation sanitaire qui intégrerait l'éducation sexuelle dans son intégralité, la santé, au lieu et à la place de l'enseignement des rituels de purification religieuse, etc.
La psychose paranoïaque ! voilà où peut mener la schizophrénie en tant que pathologie sociale, initiée et imposée par la trajectoire idéologique des projets de société dominant les peuples arabes, que l'on peut réduire à un système nationaliste populiste et conservateur pour les républiques, et théocratique pour les monarchies . Elle mène son sujet, par un repli sur soi et par un rejet systématique de tout ce qui peut altérer l'en soi dans sa pureté supposée, jusqu'au délire paranoïaque; celui qui consiste à diaboliser et à rejeter tout ce qui est autre que soi. Malheureusement, cela s'apparente à la dégradation morale qui a conduit des esprits pourtant très au fait de la vertu de la morale vers l'irréparable : le fascisme comme symptôme psychotique de la pureté de la «race» et dont le terrorisme n'est qu'une manifestation singulière. La lutte du sujet contre les troubles de la scission schizophrénique pour son recentrement débouche inévitablement sur une psychose paranoïaque, lorsque celui-ci est aliéné dans une structure mentale élaborée à partir d'un système de valeurs intériorisé qui est impuissant à contrebalancer ce qui perturbe son équilibre psychique : l'altérité ; ayant le plus souvent comme conséquence le passage à l'acte, caractérisé par la violence et l'invective, s'exprimant dans un discours confus, en recourant nécessairement à l'invention de néologismes, tels que «néo-harki» ou de termes connotés négativement tel que «déraciné» comme symptômes échappatoires à cette pathologie, dissimulés derrière l'alibi de la problématique identitaire et provoquant en conséquence une forte résistance au changement. Généralement, la pulsion à travers laquelle s'exprime cette pathologie consiste à anéantir toute contrariété dans un esprit d'intolérance absolue.
L'état de conscience pré politique des populations arabes n'est pas une tare génétique en soi, mais seulement un état de représentations sociales et politiques maintenues et alimentées par «perfusions» rhétoriques populistes de la part d'opportunistes agissant par la violence politique permanente. Le désir d'émancipation de l'obscurantisme est une pulsion universelle propre à l'homme et s'exprime à travers une forme d' «élan vital» telle qu'elle a été théorisée par Henri Bergson au tournant du XX° siècle. Celle-ci est latente dans l'inconscient sous forme de refoulé. Le refoulement étant une opération constitutive de l'inconscient, qui consiste à repousser dans celui-ci des représentations liées à des pulsions, qui dans notre cas seront celles qui sont relatives au désir de désaliénation d'un système politico-social répressif, capables, si elles avaient accès au système préconscient-conscient, d'y provoquer un déplaisir plus important que le plaisir lié à la satisfaction de ces pulsions. Ce déplaisir est représenté par la terreur conséquente de la censure exercée par la loi du consensus dominant aussi bien du pouvoir politique que des représentations mentales conservatrices de la société. Dans ce processus psychique régulé par la terreur, toute pulsion de plaisir est refoulée dans l'inconscient. Elle alimente ainsi la régression politique du sujet jusqu'au stade d'une conscience pré politique où il sera maintenu par perfusions rhétoriques et répressives, relayées par l'école, la famille et la culture ambiante, dont les médias jouent généralement un rôle prépondérant, à l'image de la chaîne internationale Al Jazeera et le désastre culturel et politique qu'elle engendre sur l'imaginaire collectif des populations arabes.
D'ailleurs, que ça soit Al Jazeera, El Arabya, ou tout autre média arabe à grande ou petite audience, la censure est partout la même, les forces progressistes ne sont généralement pas représentées. Et quand une chaîne de télévision s'aventure à le faire, sitôt elle devient l'objet de menaces et de persécutions (Nessma TV). Contrairement aux «coalitions» dominantes, qui bénéficient d'une très grande audience, particulièrement les islamistes. D'autant que ces derniers reçoivent du soutien et des aides financières directement de l'Arabie Saoudite, la Turquie, le Qatar, et autres monarchies pétrolières du Golfe. Ce processus de refoulement apparaît de ce point de vue comme fondateur de l'autorité et des privilèges qui vont avec au détriment de l'émancipation et de la souveraineté du peuple. C'est dans ce registre que Jacques Lacan introduit la notion de «désêtre», pour signifier en quelque sorte la néantisation de la société civile et généralement de l'individu en tant que potentiel acteur politique objectif.
LA REVOLUTION CULTURELLE, UN PROCESSUS PERMANENT
D'un «réformisme» volontaire perverti, initié par des pouvoirs totalitaires contre révolutionnaires ( l'Algérie, le Maroc, le Yémen, la Syrie, Bahreïn…), à un processus révolutionnaire sans lendemain, hypothéqué par des forces contre révolutionnaires, initiateurs du reflux aux pulsions émancipatrices des populations, dont le seul objectif est l'occupation de la place vide laissée par les pouvoirs totalitaires déchus (la Tunisie, la Libye, l'Egypte…), se dessine et s'impose un devenir incontournable au processus révolutionnaire en cours, dont la responsabilité incombe aux citoyens cultivés, par leur engagement dans l'accompagnement et le parachèvement de ce processus révolutionnaire en une forme de révolution culturelle conséquente.
La révolution peut s'entendre effectivement de deux manières opposées, par deux groupes antagonistes, ayant deux projets de sociétés antinomiques. Mais tous les deux recourent au mode révolutionnaire, entendu à leur manière, comme moyen pour réaliser leur but.
Le premier mode révolutionnaire, celui désigné par les forces conservatrices, renvoie à l'idée platonicienne de «métabolê», qui consiste en un «changement radical, renversement, retour…», où Platon recourt au mythe de la cité idéale des origines: jadis ( il y a bien longtemps), le cours des choses allait dans le bon sens, alors les hommes étaient directement gouvernés par les dieux, ceux-ci veillaient à leur bonheur et à leur subsistance, non seulement les problèmes matériels étaient résolus à l'avance, mais encore était réglée d'entrée de jeu la problématique politique dans la mesure où il ne pouvait y avoir ni rivalité ni conflit, ni compétition d'individu à individu, de groupe à groupe. Or, le destin a voulu que le bon sens s'inverse, les dieux se sont retirés, les hommes ont été laissés abandonnés à eux-mêmes, un renversement (métabolê) s'est produit : c'est à lui que désormais celui qui s'attache à sauver les sociétés du malheur et de l'immoralité doit faire face. Cet instant originaire tel que proposé mythiquement par Platon, implique qu'il y avait un ordre qu'une révolution incompréhensible a défait. La révolution humaine a pour fin de rétablir autant qu'il se peut ce bonheur perdu. Voilà un schéma que l'idéologie salafiste islamique a développé en tenant pour cause de ce désordre les incursions de la modernité et les nationalismes qui ont succédé aux croisés colonialistes, qui ont corrompu la société et se sont éloignés des règles ancestrales de la cité des hommes, la seule vraie cité, celle de Dieu, qu'ils projettent de rétablir dans leurs revendications politiques, surtout à travers l'argument récurrent de la «moralisation de la société».
La démonstration vient d'être faite par la déclaration de l'Etat islamique en Libye par le CNT, et la consécration de la chari'a comme source de toute élaboration juridico-politique et même économique pour remédier, dit-il, à la dégradation morale de la société qui prévalait avant la révolution. En Tunisie, le Parti Ennahda, qui vient d'arriver en tête du scrutin pour la Constituante, représente une réelle menace de régression politique pour la société tunisienne, et d'orienter la Révolution du Jasmin vers ce schéma platonicien. En Egypte, les Frères Musulmans sont pour l'heure embusqués, attendant le moment opportun pour agir. Partout ! mêmes stratégies, mêmes objectifs.
Or, d'un point de vue philosophique, la révolution s'entend comme une volonté de mettre fin à la réalité hégémonique que l'idéologie religieuse a mise en place historiquement, en se considérant fondée sur des droits ontologiques et qu'elle impose contre toute revendication visant à la réduire. C'est dans ce sens que s'entend le deuxième mode révolutionnaire, celui de la révolution objective, qui n'apparaît que, lorsque l'histoire produit les conditions d'une fusion, d'une synthèse de tragédies multiples (le non respect des droits de l'homme, le problème des minorités ethniques et sexuelles, le problème du statut de la femme, la liberté de conscience, etc). Pour le premier mode révolutionnaire, l'apparition d'une tragédie singulière et exclusive, pour ses adeptes, est nécessaire et suffisante pour la déclencher. Il s'agit dans ce cas du constat, que les lois et les mœurs de la cité s'éloignent du dogme et de la morale référenciée.
Il y a des révolutions triomphantes qui ne changent rien cependant à l'ordre établi, le laissent revenir où le renforcent (la révolution algérienne 1962, libyenne en 1969, tunisienne en 1956, etc). La révolution au sens politique et culturel consiste en une transformation radicale et permanente des rapports entre les individus et entre ceux-ci et le pouvoir. La révolution détermine un avant et un après, repérable matériellement, d'abord dans les institutions, ensuite dans les relations réelles entre les individus. Aux rapports personnels d'allégeance à l'idéologie du pouvoir en place et à la soumission aux lois du consensus autour de l'imaginaire collectif et les structures mentales qui le caractérise, se substitue la relation entre des citoyens libres disposant de leur liberté de conscience intégralement.
L'idée de révolution, celle, qui est appuyée par une véritable révolution culturelle, implique non seulement la dissolution de l'Etat existant mais encore une déconstruction de l'organisation sociale et des principes qui la gouvernent. Cette déconstruction se définit en des ruptures par lesquelles les configurations sociales et mentales et le pouvoir d'état qui en résulte et qui les protège sont mis en question en permanence. La révolution n'est jamais achevée une fois pour toutes, une fois réalisée, la lutte continue, car, les forces antagonistes, provisoirement neutralisées, sont toujours présentes et elles ont la capacité constante de réactiver le reflux. Une rupture, dans son projet définitif, n'est jamais accomplie, et l'événement qui inaugure le nouvel état de choses ne suffit pas. Il ne suffit pas de déclarer la démocratie (et d'en assurer généralement la pratique) pour que la réalité sociale politique et culturelle se conforme dans son entier à cette décision et à cette victoire. La prise du pouvoir après la dissolution de l'Etat totalitaire existant ne signifie pas que la lutte disparaît définitivement, au contraire elle s'aggrave, son enjeu devient plus lourd et se charge de contradictions accrues, il appartient aux hommes de culture d'en être les avant-gardes et d'assurer une révolution permanente sur les plans culturels, juridiques et institutionnels.


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