En acceptant d'assouplir sa position sur le dossier des Frères musulmans, le Qatar montre bien qu'il cherche à «normaliser» ses relations avec les Etats du Golfe qui s'opposent clairement à sa voracité géopolitique. Les Frères musulmans, l'association panislamiste, créée en 1928 à Ismaïlia par Hassan El Banna, et dont l'un des membres, Mohamed Morsi, avait réussi à prendre le pouvoir en Egypte après la chute du régime de Hosni Moubarak en février 2011, est assaillie de toutes parts. Après avoir été classés organisation terroriste par les autorités égyptiennes et saoudiennes qui se sont promis de les rayer durablement du jeu politique arabe, comme l'avait fait bien avant eux Gamal Abdel Nasser, les Frères musulmans viennent de subir un sérieux coup dur au Qatar. Tamim Ben Hamad Al Thani, le nouvel émir de cette minuscule pétromonarchie du Golfe à peine aussi grande que la wilaya de Batna, a en effet signifié aux responsables de la confrérie établis dans l'émirat qu'ils étaient désormais persona non grata. Le mouvement des Frères musulmans a lui-même confirmé samedi que sept de ses membres avaient été priés de quitter le Qatar par les hautes autorités du pays. L'information surprend dans la mesure où il n'est un secret pour personne que le Qatar est le principal protecteur et sponsor des Frères musulmans dans la région. L'organisation qui dispose de solides relais dans tout le monde arabo-musulman a, en effet, bénéficié, lors des révoltes arabes de 2011 d'un soutien financier pratiquement illimité de la part de Doha. Ce soutien lui a permis d'ailleurs de prendre le pouvoir haut la main en Egypte et en Tunisie et de construire une imposante force politique en Libye. Les Frères musulmans sont également très présents en Algérie et au Maroc. Dans ce dernier pays, ils tiennent également les commandes du gouvernement. En «investissant» dans la mouvance des Frères musulmans, il a aussi gagné au change puisqu'il s'en est servi pour étendre son influence, asseoir sa politique arabe et écarter des rivaux régionaux. Le colonel Mouammar El Gueddafi, Hosni Moubarak et Bachar Al Assad l'ont d'ailleurs vérifié à leurs dépens. Ces dernières années, l'ambition du Qatar était de devenir le centre politique du monde arabe. Autrement dit, le leader. Le silence gêné du Qatar Mais si les autorités qataries sont restées discrètes sur les raisons de cette expulsion qui ne dit pas son nom, la direction de la confrérie égyptienne s'est néanmoins dite persuadée que l'émir Tamim Ben Hamad Al Thani a agi sous la pression de membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), particulièrement de l'Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis. Dans tous les cas, il ne serait pas étonnant de découvrir que c'est Riyad et Abu Dhabi qui ont effectivement pesé de tout leur poids pour obtenir l'expulsion de la bande au prédicateur controversé Youssef Al Qardaoui qui n'a cessé ces dernières années d'appeler, à partir de son exil doré, la rue arabe à se rebeller contre ses dirigeants. Habitué des plateaux de la chaîne pro-islamiste Al Jazeera, Youssef Al Qardaoui avait même cautionné, durant les années 1990, le meurtre de civils en Algérie. Le soutien qatari aux Frères musulmans a, rappelle-t-on, déjà été à l'origine d'une grave crise diplomatique régionale en mars dernier. La crise a atteint un tel point que l'Arabie Saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis ont dû rappeler leurs ambassadeurs en poste à Doha. Une fois de plus, les raisons sont à lier avec les prêches enflammés de Youssef Al Qardaoui contre Riyad, Abu Dhabi et Le Caire. Mais fondamentalement, la levée de boucliers de ces deux pays contre les Frères musulmans s'explique surtout par le fait que l'arrivée au pouvoir de la confrérie dans plusieurs Etats de la région constitue une menace pour leur propre survie. Pressions accrues C'est d'ailleurs pourquoi ils s'appuient sur les salafistes. Ceux-ci ne contestent pas les pouvoirs en place. Du moins pas pour le moment. En acceptant d'assouplir sa position sur le dossier des Frères musulmans, le Qatar montre bien qu'il cherche à «normaliser» ses relations avec les Etats du Golfe. Dans la foulée, l'émir Tamim Ben Hamad Al Thani, pour montrer sa bonne foi, pourrait aussi décider de clouer le «bec» à Al Jazeera, la fameuse chaîne de télévision que la famille royale qatarie utilise pour, il faut dire les choses par leur nom, déstabiliser des pays et étendre son influence dans le monde musulman. En tout cas, l'Arabie Saoudite a clairement demandé à son voisin de changer la ligne éditoriale de la chaîne, qui a pris pour habitude de prendre pour cible la monarchie saoudienne. Les expulsions de Frères musulmans dont il est question aujourd'hui sont-elles suffisantes pour dire que les ponts entre le Qatar et les Frères musulmans sont définitivement coupés ? Ibrahim Munir, un membre de la confrérie islamiste installé à Londres, est persuadé du contraire. Il a d'ailleurs déclaré à ce propos à Reuters que leur départ ne signifiait pas une rupture des relations entre le Qatar et les Frères. «Les autorités qataries ont dit à la confrérie qu'elles étaient soumises à de la pression et que les circonstances n'autoriseraient pas la présence de tous ces membres de la confrérie à Doha», a-t-il expliqué. Possible que cela soit vrai sur le long terme. Mais dans le contexte actuel, il semble que le Qatar a bien compris qu'il n'avait pas du tout intérêt à continuer à jouer avec le feu, surtout qu'il a en face un adversaire qui s'appelle l'Arabie Saoudite.Un adversaire disposant d'un effroyable pouvoir de nuisance et qui n'est pas près de renoncer à son statut de leader au Proche-Orient. Il est vrai que Riyad a les moyens financiers et militaires suffisants pour transformer à nouveau Doha en désert aride.