Des Etats membres du Conseil de coopération du Golfe ont pris la décision, hier, de punir les autorités qataries pour leur tentative de ravir le leadership à l'Arabie Saoudite. Le Qatar est accusé de «crime de lèse-majesté». Le richissime petit émirat du Qatar commence à payer cash ses nombreuses tentatives pour ravir la place de leadership à l'Arabie Saoudite dans le monde musulman. Des Etats membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), club fondé en 1981 et composé essentiellement de monarchies arabes du Golfe, ont pris la décision, hier, de punir les autorités qataries pour ce crime de «lèse majesté». Le carton rouge a, ainsi qu'il fallait s'y attendre, été brandi par l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn. Officiellement, il est reproché à Doha ses ingérences dans les affaires de ses voisins et son soutien actif aux islamistes. Comprendre par là la confrérie des Frères musulmans que Riyad a toujours perçue comme une importante menace pour la stabilité du pouvoir des Al Saoud. Parmi leurs griefs, figure aussi «la large coordination que mène le Qatar avec la Turquie, aux dépens des autres monarchies du Golfe» sur le conflit en Syrie notamment, Ankara étant redouté pour ses ambitions régionales. En outre, le Qatar s'est rangé ouvertement du côté des Frères musulmans qui ont perdu le pouvoir en Egypte, tandis que les trois autres pays ont apporté un soutien massif, tant politique que financier, au nouveau pouvoir égyptien. Bien décidés à dépasser cette fois le stade de la simple dénonciation, l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes unis et le Bahreïn ont ainsi pris la résolution de rappeler leurs ambassadeurs respectifs au Qatar. D'après des médias locaux, cette décision a été annoncée au lendemain d'une réunion «houleuse» des ministres des Affaires étrangères du CCG à Riyad. A noter que la forte médiatisation de la protestation de ces trois pays contre le cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar, est une première dans la mesure où le CCG a, jusque-là, toujours eu pour règle de laver son «linge sale» en famille. Ce rappel à l'ordre véhément signifie donc que la politique extérieure agressive et conquérante suivie par Doha depuis 2011, c'est-à-dire depuis précisément le déclenchement de ce qu'on appelle les révoltes arabes, a dépassé allègrement la ligne rouge tracée par l'Arabie Saoudite, un pays que le Qatar semble avoir enterré un peu trop vite. «Les pays du CCG ont tout fait auprès du Qatar pour s'entendre sur une politique unifiée (...) garantissant la non-ingérence de façon directe ou indirecte dans les affaires internes de chacun des pays membres», selon le texte d'un communiqué commun publié dans les capitales des trois pays. Ils ont demandé au Qatar de «ne soutenir aucune action de nature à menacer la sécurité et la stabilité des Etats membres», ajoute le communiqué en citant notamment les campagnes dans les médias, en allusion à Al Jazeera. Il faut dire que l'argument se tient bien. Tout le monde sait que Doha exploite cette chaîne de télévision comme une arme pour d'une part promouvoir ses intérêts (y compris par la voie de la déstabilisation) et d'autre part pour aider des mouvements islamistes «alliés» à prendre le pouvoir dans les pays arabes. Il faut dire que la crise qui éclate aujourd'hui au grand jour au sein du CCG couvait déjà depuis plusieurs mois. Elle s'était déjà manifestée en février par le rappel par les Emirats de leur ambassadeur à Doha pour protester contre des propos du prédicateur égyptien Youssef Al Qaradaoui dans lesquels il avait accusé Abu Dhabi d'hostilité envers les Frères musulmans. Pour mémoire, ce même Youssef Al Qaradaoui avait pendant longtemps soutenu, lors de ses nombreuses apparitions sur Al Jazeera, les assassinats d'Algériens par les terroristes durant les années 1990. Pis encore, le Qatar est aussi, aujourd'hui, soupçonné par ses trois voisins de soutenir les islamistes proches des Frères musulmans dans leurs pays, dont des dizaines ont été condamnés à la prison aux Emirats arabes unis. Mais ce qui semble avoir le plus alimenté la colère des membres du CCG est surtout lié au fait que le nouvel émir du Qatar ait donné de fausses promesses de paix à ses partenaires. Leur sortie d'hier montre également qu'ils ont perdu tout espoir d'un changement de la politique de leur voisin. Le communiqué signé par l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn insiste d'ailleurs sur l'idée qu'en dépit de l'engagement de cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, lors d'un mini-sommet avec l'émir du Koweït et le roi d'Arabie à Riyad en novembre, à respecter ces principes, son pays ne l'a pas fait. Ce mini-sommet, organisé à l'initiative de l'émir du Koweït, cheikh Sabah Al Ahmad Al-Sabah, était destiné, entre autres, à surmonter le profond désaccord entre Doha d'une part et Riyad, Abu Dhabi et Manama de l'autre sur la conduite à suivre face au nouveau pouvoir installé par l'armée en Egypte en juillet 2013 après l'éviction du président islamiste Mohamed Morsi. Le refus d'obtempérer de Doha laisse penser, en tout cas, que la vieille garde est toujours active au Qatar. Si ce constat se vérifie, il ne serait alors pas surprenant de voir Riyad, Abu Dhabi et Manama exercer d'autres pressions sur le Qatar pour amener ses dirigeants à changer de politique. Une politique devenue désormais inacceptable aux plans arabe et régional. Et eu égard aux nombreux dégâts causés par Doha dans tout le monde arabe, cheikh Tamim ben Hamad Al Thani aura bien du mal à trouver quelqu'un qui voudra défendre sa cause. Le coup de colère de Riyad a déjà fait chuter hier la Bourse du Qatar de 2%. Ceux qui connaissent son degré de nuisance savent très bien que l'Arabie Saoudite est capable de transformer un petit coin de paradis en un désert infernal. Sans état d'âme.