Le fait est passé inaperçu. Au début de l'attaque israélienne contre le Liban, une embarcation égyptienne a été bombardée et coulée : douze morts. Les Israéliens ont annoncé que le Hezbollah libanais a tiré sur cette embarcation. Même curieuse, cette information a été reprise par les agences de presse et a duré le temps d'un après-midi avant que les autorités égyptiennes rectifient le tir et annoncent que c'est l'armée israélienne qui a coulé le bateau. Voilà une petite image de ce que peut être la guerre psychologique qui se base sur une matrice essentielle : la désinformation. Un bâtiment de guerre israélien a été ciblé par les roquettes du Hezbollah. Aucune image n'a été montrée, mis à part un gros feu perçu au large de Beyrouth. Aucun bilan sur le nombre des morts. Tel-Aviv a compris l'importance de la télévision dans ce genre de situation. Al Manar, chaîne du Hezbollah, a été bombardée par l'aviation israélienne, l'obligeant à arrêter la diffusion, d'une manière temporaire. Al Manar est, depuis plusieurs mois, interdite de diffusion en Europe et en Amérique du Nord. Son internet est piraté, donc inaccessible, autant que celui du Hezbollah. Les images diffusées à partir de Haïfa, ville du nord d'Israël ciblée par le Hezbollah, passent désormais par la censure militaire. L'équipe d'Al Jazeera, la seule chaîne de télévision qui assure une couverture complète et équilibrée sur ce qui se passe au Liban et en territoires palestiniens, a fait les frais de cette opération. Walid El Omari, chef du bureau d'Al Jazeera en territoires palestiniens, a été interpellé à deux reprises par la police de l'Etat hébreu. Reporters sans frontières (RSF) a été parmi les rares organisations à soutenir le journaliste. « Sur douze équipes de télé présentes à Haïfa, seule l'équipe d'Al Jazeera a été interpellée à plusieurs fois pour des interrogatoires. A chaque fois, on nous dit que c'est une erreur », a témoigné Walid El Omari, lors d'une émission de la chaîne qatarie. Yourim Benor, journaliste à la deuxième chaîne de télévision israélienne, qui est intervenu dans la même émission, a expliqué que la censure militaire, en temps de guerre, était légitime, mais que « les agressions » contre les journalistes étaient inacceptables. « Al Jazeera n'est pas un danger pour l'Etat d'Israël », a-t-il dit, soulignant le professionnalisme de cette chaîne. Le journaliste israélien a fait cet aveu : « Tout le monde était prêt à la chute des roquettes du Hezbollah. Ce n'est pas une surprise. » Le mouvement de Hassan Nasrallah est-il aussi surarmé qu'on voudrait le faire croire afin de donner de la démesure à la menace ? Selon Shimon Peres, vice-Premier ministre israélien, 1500 missiles et roquettes sont tombés sur Israël depuis le début de la crise. Censure isrélienne Rien n'est dit sur l'efficacité du système antimissile israélien ni sur l'ampleur des dégâts de ce nombre important de projectiles dont la capacité de destruction est faible par rapport aux obus, missiles et « bombes intelligentes » de l'armée israélienne. L'aviation israélienne cible tout ce qui roule au Liban au point de confondre rampes de missiles et machines de forage, comme ce fut le cas hier au quartier chrétien d'Al Ashrafia, à Beyrouth, bombardé à plusieurs reprises. Les stratèges militaires de Tel-Aviv n'ont jamais résisté à la tentation de faire réveiller les divergences confessionnelles au Liban pour « encercler » le Hezbollah, d'où un raid sur un quartier chrétien. Ce n'est pas un hasard que Condoleezza Rice, secrétaire d'Etat américaine, a reçu à Washington le patriarche maronite Nasrallah Sfeir pour lui dire ceci : « Je suis très inquiète pour les Libanais, pour la liberté et la démocratie du Liban (...). Je veux que vous sachiez que non seulement nous travaillons très dur, mais nous prions aussi. » Condoleezza Rice n'a pas reçu de représentant de la communauté musulmane du Liban. « Est-ce le début de la troisième guerre mondial ? » La question est du quotidien israélien Jérusalem-Post qui n'a pas réputation d'être farfelu. Le journal reprend un débat étrange qui meuble des cercles conservateurs à Washington et rapporte que des membres de la Knesset (Parlement) étaient quelque peu surpris par l'ampleur du soutien d'hommes politiques américains. Parmi eux, le sénateur républicain John McCain qui, avec un autre républicain, Newt Gingrich, appellent l'actuelle crise au Proche-Orient de « World War III » (Troisième Guerre mondiale). John McCain, qui est un vétéran de la guerre du Viêt-nam et qui est un sérieux prétendant pour l'élection présidentielle de 2008, reprend une ancienne idée des milieux républicains, généralement hostiles aux monde arabo-musulman et à l'Asie. « Nous devons faire comprendre à nos alliés européens que c'est plus le grand challenge que nous rencontrons au Moyen-Orient depuis longtemps », a déclaré McCain. Réponse d'un député du Parti travailliste israélien, Danny Yatom : « L'intervention des Américains m'énerve. Qu'ils nous envoient de l'argent, des aides... et nous pouvons faire le reste. » Officiellement, l'Etat hébreu a engagé les hostilités contre le Liban pour libérer les soldats Ehud Goldwasser et Eldad Regev, enlevés par le Hezbollah, le 12 juillet 2006. Mais comment Israël peut être sûr que ces soldats soient encore sains et saufs après le pilonnage intensif du Liban ? Une première tentative de réponse. « Les plans de l'opération que mène actuellement Israël au Liban étaient dans les cartons de l'état-major depuis longtemps et visent à modifier le rapport de force régional », rapporte l'agence Reuters, citant une source militaire. Le Hezbollah n'arrive pas encore à convaincre sur les raisons de l'enlèvement des deux soldats israéliens puisque le résultat apparent est aujourd'hui simple : la destruction progressive du Liban. Car comment expliquer cet aveu de Olivier Rafowicz, porte-parole de l'armée israélienne : « Cette campagne est basée sur des préparations que nous avons réalisées, sur des renseignements que nous avons recueillis, au fil des ans. » L'armée israélienne dit avoir neutralisé à 40% les capacités du parti de Hassan Nasrallah qui, lui, annonce détruire des chars israéliens et tuer des soldats. Les médias occidentaux disent que « la guerre » oppose Israël au... Hezbollah, comme si ce parti était une armée dotée d'un Etat. Peu de mots sont dits sur les enfants qui tombent comme des papillons brûlés dans les villages du Sud-Liban. « Le Hezbollah utilise des bouclier humains », a expliqué le porte-parole de l'armée israélienne sans citer de preuves. Cet argument de tactique militaire sous-entend qu'aucun civil n'est à l'abri au Liban. Pis, le porte-parole du gouvernement israélien, interrogé par la chaîne suisse TSR, a affirmé que la plupart des victimes sont... « des militants du Hezbollah ». « Nous les aurons tous », a confié, de son côté, le capitaine A., pilote du F16 qui a bombardé le siège du Hezbollah à Beyrouth. L'homme est presque une vedette dans ce pays. Sauf que le chef du Hezbollah, cible principal du raid, n'a pas été touché. Un détail, diront les commentateurs. Entre temps, des usines de lait, de bois, des stocks de produits alimentaires sont bombardés de manière régulière par l'aviation israélienne. Peut-être que l'histoire prouvera plus tard que la poudre de lait sert aussi à fabriquer « des bombes ».