Le fait est rare. Q'un ambassadeur étranger aille se recueillir à la mémoire des martyrs de la Révolution en déposant une gerbe de fleurs. Même les diplomates arabes ne s'encombrent pas de ce geste symbolique qui signe le début de leur mission en Algérie. C'est dire que le déplacement, hier matin, du nouvel ambassadeur des Etats-Unis, Mme Joan A. Polaschik, au Sanctuaire des martyrs est une exception. Comme s'il fallait que cela vienne des Américains… Son staff n'a pas voulu en dire plus sur cette visite-surprise à un haut lieu de la Révolution et de la fierté algériennes. Est-ce une petite piqûre dans le dos de la France pour lui rappeler que les Etats-Unis sont déterminés à chasser dans «son pré carré» ? Mme Polaschik ne l'a pas dit, ni insinué mais il est difficile de ne pas y voir un geste symbolique de forte portée diplomatique. C'était émouvant de voir l'ambassadrice américaine avancer, solennellement, vers le pied du Monument des martyrs pour y déposer une gerbe de fleurs, aidée par les éléments de la Garde républicaine, et se tenir debout, la main sur le cœur… Elle n'est ni chef d'Etat ni ministre des Affaires étrangère. Mais elle est tout de même la représentante du «gendarme du monde», les Etats-Unis d'Amérique. Elle aurait pu choisir d'aller visiter La Casbah d'Alger ou un autre lieu moins «chargé» symboliquement. Mais elle a visiblement voulu marquer les esprits en titillant l'ego patriotique des Algériens pour qui la glorieuse Révolution reste un grand motif de fierté nationale. Un geste très symbolique C'est à ce thème d'ailleurs que Mme Polaschik a réservé ses premiers mots dans sa déclaration à la presse venue en nombre. «J'ai un grand respect pour le courage et la force du peuple algérien. Les Algériens ont fait beaucoup, beaucoup de sacrifices au cours des années et en particulier dans leur lutte pour l'indépendance. Je m'en souviens profondément et je voudrais rendre hommage à la mémoire des milliers de martyrs qui ont donné leur vie à la lutte pour l'indépendance.» Visiblement émue par ce qu'elle venait de voir au Musée du moudjahid, l'ambassadrice des Etats-Unis a même rendu hommage aux martyrs en arabe : «Allah yerham el chouhada (Gloire aux martyrs)» a-t-elle lâché. Accompagnée de ses conseillers aux affaires politiques et de son staff de diplomatie publique, Mme Joan A. Polaschik a visité tout le Musée du moudjahid. Elle marquera notamment une halte devant le portrait géant de l'Emir Abdelkader, dont une ville de l'Iowa porte le nom (El Kader). De temps à autre, elle s'adresse à la jeune interprète algérienne lui demandant quelques précisions du genre : «Y a-t-il encore des moudjahidine en vie ? Quel est leur nombre ?» «Je suis très heureuse…» Sinon la diplomate américaine écoutait studieusement les explications de la responsable du musée qui avait réponse à tout et qui plus est avec dans un anglais parfait. L'expression de son visage était un mélange d'admiration et d'émotion face à cette histoire de l'Algérie déclinée par des portraits, des armes, des bustes et autres objets d'époque qui restituent la souffrance des Algériens durant la guerre de Libération. Mme Polaschik était en extase face au portrait de la jeune moudjahida Hassiba Benbouali et celui du patriarche l'Emir Abdelkader. Elle a été par contre «glacée» à la vue de la terrifiante guillotine qui a tranché la tête d'Ahmed Zabana avant de quitter précipitamment la salle. L'ambassadrice américaine a tenu à faire sa petite déclaration à la presse là où elle s'était recueillie auparavant à la mémoire des martyrs. Il est vrai que l'image avec en arrière-plan la magnifique baie d'Alger ressemble à une toile de maître grandeur nature. «Je suis très heureuse d'avoir eu la chance de venir ici au Musée du moudjahid pour en apprendre davantage sur l'histoire de l'Algérie et le mouvement d'indépendance.» Pour l'histoire en tout cas, le déplacement hier de Mme Joan A. Polaschik au sanctuaire des martyrs fera date.