On ne décapite pas l'esprit d'un montagnard», lit-ont sur une caricature collée dans le cahier de condoléances mis à la disposition de la population par la mairie de Saint-Martin-Vésubie, commune des Alpes-Maritimes située à 2 heures de route de la grande métropole de Nice. Saint-Martin-Vésubie (Alpes Maritimes) De notre envoyé spécial 24 heures après la décapitation de l'enfant du pays, Hervé Gourdel, les 1328 habitants de ce village sont encore dans une gueule de bois émotionnelle. Toujours sidérés par les images épouvantables diffusées la veille par les terroristes de Jund Al Khilafah, ils ont un regard figé, glacial. Même le soleil qui a brillé sur la petite bourgade, dans l'après-midi, n'ont pu réchauffer ce climat funèbre. Une population sidérée Sur la place de la mairie, tout renvoie au deuil. Le drapeau tricolore est en berne, côtoyant un portrait du guide de montagne assassiné. Les tableaux municipaux d'affichage annoncent l'annulation de toutes les fêtes annuelles de fin d'année. Même devant l'insistance de l'armada de nos confrères français, les villageois restent silencieux. «Nous n'avons rien à dire. Nous sommes des montagnards, nous n'avons pas l'habitude de divulguer nos sentiments publiquement», explique un quinquagénaire, le drapeau français à la main. L'animation ne reviendra dans ce village qu'avec l'arrivée d'un bus scolaire transportant les camarades de classe des enfants du défunt. Erwan, son aîné, a 15 ans. Il est scolarisé en section escalade dans un lycée niçois. Anouk, sa benjamine, 12 ans, est collégienne. Cette tendance se confirme, à partir de 17h30, avec l'afflux d'anonymes, d'hommes politiques et de religieux venus de toute la Côte d'Azur et même de Marseille. Saint-Martin-Vésubie, en plein milieu du massif du Mercantour, qui rappelle le Djurdjura dans sa splendeur, redevient enfin une cité de vivants et sort de sa léthargie. Un vrai montagnard «Nous sommes ici d'abord pour soutenir une famille en souffrance, pour lui exprimer notre solidarité et notre respect pour la dignité dont ils ont fait preuve… Et pour demander un sursaut national contre la barbarie du terrorisme», a déclaré devant une meute de journalistes le très médiatique député-maire de Nice, Christian Estrosi. Et d'annoncer «une immense marche silencieuse à Nice», pour ce samedi matin. Des déclarations d'autres hommes politiques suivront. Assurément, cette initiative des gouvernants a décomplexé et rassuré les gouvernés. «Personnellement, je ressens un malheur profond car il était innocent sur toute la ligne. C'était un simple montagnard qui n'avait rien à voir avec toutes les histoires autour de la politique. Il ne mérite pas cette triste mort», regrette Colette. Selon des témoignages recoupés, Hervé Gourdel était un amoureux des montagnes maghrébines. Son instinct d'alpiniste insatiable l'a conduit jusqu'à l'Atlas. Il a passé près de sept ans au Maroc pour former des jeunes, les initier au métier de guide de montagne. Son nouveau projet, désormais inachevé, aurait été de former des jeunes Algériens au même métier. «Il a décidé de partir en Algérie après plusieurs contacts sur internet avec ses amis algériens qui lui ont fait part de leur engouement autour de cette discipline», raconte Henri Giuge. L'aventurier a pris un avion vers Alger le 20 septembre et devait rentrer en France le 2 octobre. Selon ses amis, il était conscient des dangers qu'il encourait en se rendant au parc du Djurdjura. «Mais Hervé était un vrai montagnard qui voulait réussir. Je l'ai rencontré souvent lors des sorties en montagne ici, chez nous. Il ne renonçait jamais à un projet d'escalade», témoigne Jean-Louis Clary, alpiniste de l'extrême. Et son ami Gérard Levêque d'ajouter : «Nous sommes tous ses amis ici. J'espère que la barbarie va s'arrêter tout de suite car elle vient de mettre fin à la vie d'un homme extraordinaire. Nous avons l'habitude de perdre des copains dans la montagne, mais pas du tout de cette manière !» Un message de paix du Mercantour Sur la petite place, baptisée au nom du Général de Gaulle, l'environnement est plus convivial. La foule qui ne cesse de grandir semble prête à battre le pavé, dans le silence, sans aucun discours ni prise de parole, pour respecter le souhait de la famille Gourdel. Sur les pancartes brandies par une centaine de lycéens, aucun slogan politique. Tous présentent leurs condoléances à leur camarade Erwan, très discret et refusant le moindre contact avec les médias. «J'espère que les Français ne feront plus d'amalgames qui font mal à nos compatriotes musulmans», confie Nicole, 87 ans, qui a vécu à Alger durant la Deuxième Guerre mondiale. Elle n'est pas la seule. L'imam de Nice, Abdelkader Beneddine, rappelle que «les premières victimes de ces terroristes sont les musulmans eux-mêmes. Moi-même, j'ai subi l'assassinat de mon frère par ces gens, en 1996, à Chlef, juste parce qu'il était fonctionnaire». «Aujourd'hui, je suis venu apporter le soutien de la communauté musulmane de Nice à la famille de la victime et aux habitants de ce village, très tolérants, que je connais bien. L'année dernière, nous étions invités à la Fête de la musique organisée ici. Ils m'ont supplié de prendre le micro pour faire l'appel à la prière, tellement ils étaient tolérants et fascinés par la culture musulmane», se souvient-il. «Je dis aux gens qui commettent ces horreurs que le vrai homme de foi, c'est celui qui prône la paix, la tolérance et la fraternité entre les peuples», ajoute le prêtre du village, Noël Dabiré, originaire du Burkina Faso. Devant les dizaines de caméras, l'imam Beneddine et l'évêque de la Côte d'Azur, monseigneur André Marceau, entament la marche, main dans la main, à pas sûrs, en deuxième ligne derrière les politiques et les officiels, dont le consul d'Algérie à Nice. Il est 18h passées de quelques minutes. Le climat se refroidit de nouveau, la lumière du beau soleil de la journée laisse place à un paysage maussade qui accompagne le silence religieux des marcheurs. Le trajet est symbolique, le parcours est de quelques mètres. Il prend fin devant le siège de L'escapade - Les guides du Mercantour, l'association créée par Hervé Gourdel en 1987. Les marcheurs se succèdent ensuite pour y déposer fleurs, des portraits et des pancartes en hommage à «un vrai montagnard», disent-ils. Un long sit-in silencieux suivra. Les quelques centaines de manifestants se dispersent dignement, par petits groupes. Hervé Gourdel, natif de la ville de Nice, a choisi de vivre en montagne et s'attendait peut-être à y mourir, mais sûrement pas de cette manière atroce.