Le gouvernement a beau assurer qu'il est en contrôle, le citoyen moyen connaît le montant de nos réserves qui couvrent trois ans d'importations et six ans avec une meilleure rationalisation. Les nouvelles de récentes découvertes importantes alimentent la presse sans effet notable sur l'humeur ambiante. Tout le pays a les yeux rivés sur les dernières nouvelles des cours pétroliers. Même la victoire de l'équipe nationale (contre le Malawi) n'a rien changé à la donne. Les familles y trouvent un sujet de discussion idéal. C'est à celui qui prévoit le mieux les conséquences d'un tel développement s'il perdurait. Et les conjectures pleuvent. Déjà, la sinistrose existait avant ce premier vent de panique. C'est son amplification qui risque d'avoir des conséquences désastreuses sur le climat des affaires et, par là, impacter les variables économiques réelles. Les économistes savent qu'il y a beaucoup de psychologie dans l'économie ; en fait, le moral des agents économiques est déterminant dans la prospérité d'un pays. Pour cela, la gestion de la communication fait partie de l'arsenal des outils macroéconomiques modernes. Les baromètres du moral des ménages et des patrons d'entreprises sont surveillés partout par des outils adaptés. Ce sont des indicateurs économiques avancés (des précurseurs) des futurs développements. L'optimisme entraîne les ménages à consommer plus, donc les entreprises à vendre plus et, par conséquent, investir, innover, créer de la richesse et de l'emploi. Mais lorsque la morosité s'empare des masses, ce sont les mécanismes tout à fait contraires qui entrent en jeu : trop d'épargne, mévente des entreprises, diminution des dépenses, des stocks, de la production et de l'emploi. Peu de gens le savent, mais gérer la macroéconomie d'un pays, c'est aussi et surtout manager le moral des citoyens. Les craintes sont-elles fondées ? Comme dans toute chose de la vie, on peut prendre les indicateurs que l'on veut pour défendre la position qui nous convient. Les données statistiques nous montrent ce qui s'est passé sans expliquer pourquoi. Alors, on présente nos propres préférences en guise d'interprétation et le tour est joué ! Comme dans toute science, en économie, «peu de connaissances sont de dangereuses connaissances». Le marché des hydrocarbures entre dans une zone de turbulences incertaine. On sait que c'est un des marchés les plus compliqués à évaluer. De ce point de vue, l'incertitude est totale. Dans ce domaine, les recommandations stratégiques sont claires : en cas de grande indétermination, il vaut mieux planifier sur le scénario le plus pessimiste et introduire les flexibilités nécessaires pour s'adapter. De ce point de vue, les pessimistes ont raison. Mieux vaut jouer la prudence et éviter de dilapider les rares ressources qui nous restent. Ceci dit, il ne faut point disqualifier les hydrocarbures. Le gouvernement a raison de vouloir diversifier le bouquet énergétique en misant sur une extrême diversité de décisions, tant du point de vue de l'offre que de la demande. En plus d'un plan national d'économie d'énergie, les décideurs publics ont bien fait de miser sur la diversification des sources d'énergie. Le schiste est plus problématique. Nous reviendrons sur le débat qui devrait avoir lieu sur cette question. Mais il est hors de doute que nous devrions avoir une veille technologique et une préparation qui nous permettraient de l'exploiter dès que cela sera possible avec un risque raisonnable. Mais là n'est point notre sujet d'aujourd'hui. En Algérie, nous courons beaucoup plus de risques que la plupart des pays exportateurs d'énergie. L'équation inconnue de la politique économique demeure les prix des marchés internationaux, souvent soumis aux aléas économiques et géostratégiques. En plus de l'incertitude «prix», nous courons un risque «quantité» vu la demande interne et l'incertitude inhérente à l'industrie des hydrocarbures (possibilités de nouvelles découvertes). Ne pas rater la dernière fenêtre de tir Le marché des hydrocarbures continuera à être volatil et nous n'avons aucun moyen de peser sur la situation internationale. Nous pouvons tout au mieux essayer de gérer la demande interne, pour dégager des économies substantielles, approfondir la diversification des sources de l'énergie et renforcer les capacités de Sonatrach pour agir plus efficacement dans de nombreux autres pays. Ce sont les trois pistes sur lesquelles nous pouvons agir. A part cela, la solution aux problèmes de notre pays est à 80% ailleurs : la création d'une économie productive efficace et diversifiée. Ceci demeure la préoccupation de tous les gouvernements depuis l'indépendance : sortir des griffes des hydrocarbures. Mais la réalité est têtue et les résultats dans ce domaine ont toujours été décevants. Alors, peut-on saisir ce «choc psychologique» pour faire passer les bonnes réformes ? Nous aurons la réponse dans quelques semaines avec le fameux plan quinquennal 2015-2019. En premier lieu, nous avons besoin de faire comme tous les pays qui ont réussi leur émergence : se doter d'une vision, d'une stratégie et de moyens humains, managériaux et matériels pour réussir. Nous avons la chance, en Algérie, de pouvoir faire des réformes courageuses avec un formidable amortisseur social. Ceci est possible pour faire adhérer la population. Tout est question d'ingénierie sociale et les experts algériens sont capables de relever ce défi. Les priorités doivent être le développement humain, les industries de l'expertise, la modernisation managériale et la diversification de l'économie productive. Si le prochain plan sera à 95% infrastructures, comme les précédents, nous aurons gâché la «décennie de la dernière chance». L'histoire nous jugera sévèrement. Alors, ces premières secousses qui ne sont qu'un avertissement bénin se transformeront en un crash mortel.