Depuis le début des années soixante-dix, les décideurs économiques prônaient toujours l'idée de créer une économie hors hydrocarbures car les statistiques montraient qu'inévitablement, le scénario de l'Indonésie allait se produire en Algérie. Sauf que cette nation, qui est passée du statut de pays exportateur à celui d'importateur de pétrole, a réussi à diversifier son économie à temps et à construire des secteurs exportateurs qui se sont substitués à l'énergie. Arrivera-t-on à faire de même ? Jusqu'à présent, aucun gouvernement n'a su créer des activités économiques de substitution à l'importation ou d'exportation suffisamment importantes pour sécuriser l'économie algérienne. La situation devient de plus en plus préoccupante. Les experts du secteur des hydrocarbures en Algérie sont d'accord sur un point : au rythme de production actuelle, nos réserves pétrolières s'épuiseront dans 17 ans, à peu près. Ils divergent sur les probabilités de découverte de nouveaux champs exploitables car d'immenses espaces demeurent inexplorés. Donc, nous avons deux scénarios dont nous ne connaissons pas les probabilités d'occurrence. Dans un contexte pareil, le principe de précaution s'impose. Il y a lieu de planifier sur le schéma pessimiste. Si les découvertes sont au rendez-vous, alors on pourra améliorer les facettes de ce plan. Si la nature ne nous est pas favorable, on sera prêt à en affronter les conséquences. À mon avis, il est dangereux de compter sur d'éventuelles découvertes importantes. On risque de se leurrer. Mieux vaut rationaliser l'utilisation de ce que nous avons. Ne dit-on pas qu'un tient vaut mieux que deux tu l'auras ! Par ailleurs, les investissements énormes en énergies alternatives (nucléaire, biocarburant, etc.) et en économie d'énergie risquent de réduire, à long terme, les prix de l'énergie fossile. Toutes ces raisons incitent à la prudence. Même si les exportations de gaz peuvent continuer encore pour une plus longue période, elles constituent à peu près le tiers du total de nos exportations actuelles. Il est normal que nos experts ne soient pas d'accord sur les probabilités des deux scénarios. Ce qui n'est pas normal, c'est qu'aucun plan stratégique national n'est mis en place avec un calendrier précis pour concevoir des politiques sectorielles de création et de développement de secteurs hors hydrocarbures. Nous avons là l'urgence des urgences. Sinon, nous léguerons aux futures générations un fardeau terrible. Que penseront de nous nos enfants lorsqu'ils seront 50 millions d'habitants avec 10 milliards de dollars d'exportation d'énergie ? Ils auront des infrastructures moyennement acceptables et c'est tout. Mais ces dernières ne sont pas le facteur-clé de succès des nations. Les pays du Golfe connaîtront le même sort mais un peu plus tard. Ils ont habitué leurs peuples à l'opulence basée sur une rente. La diversification économique à la Dubaï est loin de constituer une solution idoine. C'est un schéma fragile qui risque de s'écrouler à la moindre turbulence interne ou externe. Mais là n'est point notre propos. Le message que doivent recevoir nos décideurs est que nous n'avons pratiquement plus de temps. Nous avons épuisé notre marge de manœuvre. Alors que faire ? Le principe de précaution requiert que l'on en prenne deux au lieu d'une. La première consiste à planifier selon un scénario pessimiste tout en faisant des efforts énormes pour multiplier les explorations. La seconde précaution consiste à laisser dans le sous-sol des quantités de pétrole pour mettre le pays à l'abri des importations pour au moins quarante ans. On pourrait scinder les 17 ans qui restent en 10 ans d'exportations et le reste sera prudemment préservé pour éviter le scénario des importations pétrolières. Il faut savoir qu'on fait face à deux dangers en même temps : celui des quantités et des prix. Le volume des découvertes risque d'être décevant. Et les prix risquent de connaître une tendance baissière sur le moyen terme. Nous le voyons avec le marché du gaz où une compétition acharnée se profile à l'horizon. Mais peut-on créer en dix ans une économie efficace et diversifiée, sachant que depuis de nombreuses décennies, personne n'a pu le faire ? La réponse est oui mais en changeant radicalement de politiques économiques. Tous les experts algériens sont d'accord sur la nécessité de créer une économie hors hydrocarbures le plus rapidement possible. Elle devrait être diversifiée et permettre des exportations en adéquation avec notre potentiel. Mais là s'arrête le consensus. Sur la riposte, nous avons plusieurs visions. Les pouvoirs publics ont leur propre analyse qui consiste à dire que les indicateurs macroéconomiques sont au beau fixe. Nous sommes en train de réussir. Il faut persévérer avec les plans de relance, assainir les entreprises publiques et doter les plus prometteuses d'entre elles de ressources suffisantes pour se moderniser et tirer la croissance et les exportations algériennes vers le haut. Pour ma part, la probabilité de réussite d'un tel schéma relève du miracle. Il est tout à fait sain et normal d'avoir des divergences d'opinion. Les stratèges du gouvernement ont, en leur âme et conscience, conçu un projet qu'ils considèrent le plus viable pour notre pays. Il serait sage qu'une vaste concertation s'engage sur un sujet aussi délicat. Il y va de l'avenir de notre pays et de toutes les générations futures. Nous avons fait beaucoup d'erreurs de politique économique, mais à chaque fois, les hydrocarbures ont empêché une grave détérioration des conditions sociales. Il nous reste le plan de la dernière chance. Nous n'avons plus le droit de le rater. Pour cela, nous devons prendre les meilleures précautions possibles. Nous avons des pistes très sérieuses en matière de réussite des nations. Beaucoup d'analystes suggèrent que nous allons apprendre de nos erreurs pour ne plus les répéter et construire autre chose qui marche. On ne croit pas à une telle démarche. En management, on enseigne à nos étudiants d'apprendre à partir des succès pas des échecs. On sait que le nombre d'erreurs possible en gestion ou en politique économique est illimité. Nous avons fait une dizaine d'erreurs de politique économique, mais il en reste des milliers d'autres. L'utilité d'apprendre par les erreurs est très limitée. Considérer les causes des succès est bien meilleur. Il faut donc retenir de la science et des expériences les schémas qui fonctionnent. Il est un principe admis puisque expérimenté qui s'est imposé et qu'il faut méditer. En économie politique de la transition, les pays qui orientent leurs ressources pour créer un nouveau tissu d'entreprises (PME/PMI) ont beaucoup plus de chances de réussir que ceux qui canalisent leurs fonds vers le développement de l'ancienne économie, héritée de la période socialiste. Cette dernière peut être traitée par d'autres outils économiques et sociaux que nous ne pouvons développer dans ce contexte (redressement, privatisation, etc.). Nul pays n'a réussi à faire des entreprises de l'ère socialiste une locomotive de l'économie nationale. Cette prescription de l'économie de la transition doit être sérieusement méditée. En second lieu, aucun pays n'a réussi une intégration efficace à l'économie de marché avec des ressources humaines sous-qualifiées, même avec les meilleures infrastructures possibles. Ceci implique que le processus de développement nécessite avant tout et surtout des ressources humaines qualifiées. Il faut donc un plan Marshall de qualification, de recyclage et de formation. Les Chinois ont créé des milliers de nouvelles universités, centres de formation et instituts de tout genre jumelés avec les meilleures institutions de formation mondiale, avant de s'ouvrir et de s'arrimer efficacement à l'économie mondiale. L'intégration efficace a partout et toujours été précédée d'un effort massif d'amélioration qualitative des ressources humaines. Et dernière observation, et non des moindres, la qualité de la gouvernance prime sur le volume des ressources déversées sur l'économie. Nous avons là deux aspects de la gouvernance : l'éthique dans la conduite des affaires publiques et l'efficacité managériale. Nul pays ne peut progresser sans un management efficace des entreprises et des institutions à but non lucratif. Nous avons là quelques pistes qui peuvent améliorer nos futurs plans d'urgence face à une situation qui devient de plus en plus périlleuse. On ne peut s'en sortir qu'en mobilisant nos meilleurs cerveaux et les faisant travailler d'arrache-pied et le plus rapidement possible. Peut-être pourrons-nous alors faire face au scénario inquiétant d'une économie sous-développée, sous-gérée et importatrice de pétrole.