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Histoires toxiques
Laboratoire d'identification des drogues et d'analyse des milieux biologiques
Publié dans El Watan le 29 - 10 - 2014

Cette semaine, nous irons découvrir les coulisses des laboratoires du département toxicologie de l'Institut national de criminalistique et de criminalité. Entre sciences dures et dure réalité, El Watan étudiant vous narre les flash-back sinistres réfléchis par les tubes à essai que manipulent la trentaine de blouses blanches qui s'affairent dans les locaux de la Tox.
Un bolide déchire le silence de la nuit. Au volant, furibond, un jeune roule à la mode des films
américains : crissement des pneus dans les virages, mais à la vue d'un point de contrôle routier point de bruit de freinage. La voiture fonce sur le barrage de plein fouet, l'un des gendarmes est projeté sur la chaussée, grièvement blessé.
Outrés, mais plus intrigués par la conduite du chauffard, un prélèvement sanguin est expédié aussitôt à l'INCC, mais les enquêteurs ne soupçonnent pas encore la «stupéfiante» découverte que révélera l'hémoglobine de celui qu'on appellera «l'American comic maléfique». En attendant, l'échantillon est conservé dans les frigos du laboratoire de toxicologie, il côtoie un grand nombre de tubes d'analyses sanguines prélevées sur «le vivant».
En effet, le nombre de requêtes pour dosage d'alcool dans les affaires de conduite en état d'ivresse va croissant, ce qui prête à ce laboratoire l'aspect d'une ruche affairée et renseigne d'ailleurs fort bien sur l'ampleur de l'hécatombe routière. Un technicien se présente pour chercher un tube dans le frigo d'à côté ; le réfrigérateur en question est ce qu'on peut désigner par «une morgue miniature», car en guise de macchabées, les échantillons qu'il préserve sont des liquides biologiques prélevés sur des cadavres. Le chef de laboratoire, lui, atteste rigoureusement l'opération, selon les exigences iso 17025, qui garantissent la traçabilité des manipulations des preuves matérielles jusqu'à leur aboutissement devant une cour de justice. Il certifie le transfert vers l'équipement adéquat un chromatographe liquide couplé à un spectromètre de masse)*.
Le laborantin se dirige vers l'aile des équipements analytiques : la toxicologie médico-légale vient d'appeler un mort au parloir. «Les examens de recherche des causes de décès ont bénéficié ces dernières années des avancées immenses de la science analytique, notre département toxico réalise des interprétations rigoureuses, il s'agit de l'examen ayant le meilleur rendement diagnostiqué après une autopsie usuelle», explique le chef de labo, le capitaine Sedrati, biologiste et master en criminalistique des universités de Lyon et Lausanne.
C'est justement par ce procédé qu'a été élucidée l'affaire du «dormeur carbonisé», une affaire qui a fait grand bruit, tant elle a sollicité l'expertise multidisciplinaire de plusieurs labos de l'INCC, dont celui des incendies et explosions, travaillant de pair avec la toxico légale : physique, chimie et biologie rendront-elles justice à l'homme brûlé vif dans son lit suite à un terrible incendie ménager ?
Le dormeur carbonisé
Sur la scène du «crime», de flagrantes incohérences avaient éveillé les soupçons des enquêteurs. L'autopsie du cadavre à moitié carbonisé révéla des traces noirâtres de suie dans les voies respiratoires, ce qui laisse supposer une mort par asphyxie. Mais peut-on l'établir avec certitude ? Le malheureux n'a-t-il pas donc succombé à ses brûlures ? La fumée l'aurait-elle étouffé ? Les enquêteurs scientifiques avaient, eux, posé la question autrement, plus précisément : le taux de dioxyde de carbone a-t-il dépassé le seuil au-delà duquel les lésions deviennent irréversibles et donc fatales ? La requête ainsi reformulée ne relève plus des compétences du médecin légiste. On finit donc par faire appel aux experts de l'INCC pour interroger ces liquides biologiques.
Ainsi, tenter de comprendre pourquoi le gaillard corpulent n'a pas pu échapper au brasier. Comment n'a-t-il pas été alerté par les cris stridents de son épouse et de sa fille, qui avaient pourtant ameuté tout le quartier ? Dormait-il ? «Sur ses deux oreilles !» s'exclame la chef de labo cause de DC, le commandant Bouanani. La pharmacienne et master en toxicologie de Paris V désigne le dernier repas servi au malheureux : «Son jus gastrique révèle la présence d'une forte dose d'une substance hypnotisante, ses caractéristiques chimiques correspondent à un médicament disponible en pharmacie et administré dans les cas de troubles du sommeil», précise la tox post mortem.
Le dormeur carbonisé avait donc rendu l'âme dans les bras de Morphée, n'en déplaise à sa veuve éplorée. L'intrigante finit par être confondue. L'enquête établira que l'épouse s'est procuré le médicament en question chez le pharmacien du coin, l'insomniaque avait bien ruminé son crime «imparfait», d'autres preuves scientifiques viennent l'accabler davantage ; l'incendie était de nature criminelle et comble de terreur la victime a été enfermée à double clef, comme en témoigne le cadre de la porte, pourtant complètement dévastée.
L'Anti-héros
Les lourdes portes transparentes du laboratoire se referment systématiquement, l'une avant d'ouvrir la suivante, analystes et laborantins appliquent cette consigne de sécurité qui pare à tout risque de contamination, le bâtiment intelligent est également équipé d'un système d'aération sophistiqué ; des cylindres articulés au design futuriste jaillissent du plafond, il s'agit d'extracteurs d'air, indispensables dans ce milieu où poudres, comprimés, plantes et autres liquides stupéfiants sont constamment manipulés. Le verdict sur l'affaire du conducteur fou vient de tomber dans la salle analytique de recherche des stupéfiants dans les milieux biologiques. Le dosage d'éthanol dans le sang avait conclu, étrangement, qu'il n'était pas saoul. Le bilan toxicologique mit fin à l'intrigue. «Le pilote exalté était dopé à l'ecstasy !» conclut le lieutenant Kecir, biologiste diplômé de l'USTHB.
Le résultat obtenu suite à l'analyse par chromatographie en phase gazeuse couplée au spectromètre de masse*identifie irrévocablement la présence d'un stimulant du système nerveux, «une amphétamine ! Possédant des caractéristiques psychotropes, la structure chimique ne laisse aucun doute», tranche l'analyste. De plus en plus présente dans les milieux festifs, la pilule magique ne cesse de faire de tristes émules. Les dernières saisies suite à la neutralisation de petits trafics d'ecstasy font découvrir de drôles de comprimés haut en couleur ; identifiés, les stupéfiants sont enregistrés dans une base de données analytiques. Nous avons pu y examiner les contours de la potion qui donna des ailes au conducteur fou ; bleu, triangulaire et gaufré d'un S majuscule : c'est le fameux logo du super héros des American comics, et affublé, dans les milieux fêtards, par le nom de Superman, version maléfique s'entend.
Kif Connexion
Hormis les incartades coupables des petits délinquants et les affaires macabres élucidées dans ses locaux, le département toxico peut être considéré comme le poste avancé du dispositif de lutte contre les trafics de drogue qui empoisonnent le pays entier, les réseaux de trafiquants n'ont plus aucun secret pour les analystes et les profilers des stups, et si le grand nombre des interceptions de convois renseigne sur la résurgence du trafic de drogue, ce nombre croissant d'opérations de neutralisation renseigne également sur la minutie de la traque entamée dans les laboratoires de criminalistique et interprétées dans ceux de la criminologie. Arrivées au labo, les différentes substances saisies sont coupées menu et passés au peigne fin ; cocaïne et héroïne sont formellement identifiées jusqu'à leur mode de fabrication ; quels adjuvants ou adultérant ? (par ex, caféine et paracétamol pour l'héroïne, lidocaïne pour la cocaïne).
Quels sont les produits de coupage ou diluants ? (sucre, mannitol, amidon). Toutes ces données statistiques sur la composition des poudres, mais aussi sur la nature des cannabis sont rigoureusement répertoriées, ce sont en fait autant d'informations primordiales qui renseignent fort bien sur les différents réseaux et si l'on peut dire ébauchent la marque de fabrique de chacun. Si l'on entend un analyste lancer : «C'est un faux Nokia», ne vous imaginez pas avoir affaire à un trafic de téléphones contrefaits. Il s'agit de cannabis estampillé Scorpio, Nike ou Yves Saint Laurent, les fabricants de drogues ont leur propre marque «apposée».
Mais il existe dans ce milieu corrompu des guerres de gangs et des arnaques des plus grossières : sous-trafics, imitation, tromperie sur la «marchandise» sont monnaie courante chez les larrons de l'argent facile. Du coup, la qualité de la drogue, mais aussi sa toxicité peuvent varier d'un dealer à l'autre. La nature du lot saisi renseigne sur son origine et sa destination, des indications géographiques sur les itinéraires et les points de chute sont ainsi intégrés, toute tentative de dissimulation et de brouillage de pistes est envisagée ; les repères de criminels sont méthodiquement devinés, affinés pour être souvent formellement identifiés. Ce savoir qui échappe aux chefs de gangs eux-mêmes est rigoureusement analysé par les scientifiques, les statisticiens et analyste de la gendarmerie.
Ainsi, la multidisciplinarité est considérée comme l'épine dorsale de l'institut, tout comme la science informatique reste au centre de toutes les disciplines appliquées dans ses laboratoires, plusieurs outils numériques sont développés selon les exigences par les informaticiens de l'institut programmés (maison) pour des considérations de confidentialité mais surtout en réponse à des besoins spécifiques. A ce titre, l'exemple de la (Kif-Intelligence), une base de données informatique qui devient désormais l'une des armes les plus redoutables dans la lutte contre le trafic de cannabis. Le logiciel répertorie les données physiques et chimiques et un grand nombre de paramètres et d'informations analytiques.
Les stups de l'INCC en savent plus que les fabricants et trafiquants réunis sur la nature de leur «commerce», ces opérations de profilage orientent les investigations en établissant les liens entre la nature, l'origine, la provenance et la destination des drogues. Ce capital «intelligence» de l'INCC contribue grandement aux politiques publiques nationales, mais également au niveau international dans le cadre de la coopération dans la lutte contre le trafic de drogues. La grande expertise de l'INCC fournit de précieuses recommandations destinées aux magistrats, aux services de police, aux toxicologues et aux médecins. Ce genre de procédé scientifique concret de profilage est surtout développé pour cerner et avoir une compréhension approfondie sur les subtilités coupables du monde criminel.


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