Chassé par la rue, le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a quitté le pouvoir hier après 27 ans de règne, et le chef d'état-major s'est aussitôt proclamé chef de l'Etat. «Révolution» populaire ou «coup d'Etat» militaire ? La chute de M. Compaoré plonge ce petit pays pauvre du Sahel dans une période d'incertitudes. Elle est aussi un énorme coup de semonce pour les Présidents africains qui seraient tentés, comme lui, de retoucher la Constitution pour rester indéfiniment dans leurs palais. Selon la diplomatie française, celui qui n'est désormais plus que l'ex-président du «pays des hommes intègres» est parti «vers le sud» du Burkina, en direction de Pô, une ville proche de la frontière avec le Ghana. Dans la foulée de la démission de M. Compaoré, le chef d'état-major de l'armée, le général Nabéré Honoré Traoré, a annoncé qu'il assumerait les «responsabilités de chef de l'Etat». Cette annonce va à l'encontre de la volonté de dizaines de milliers de manifestants qui, massés hier matin sur la place de la Nation, devant l'état-major, pour réclamer l'aide de l'armée, s'étaient formellement prononcés contre le général Traoré. Pour eux, il est en effet trop proche de l'ancien président. Du côté de la France, ex-puissance coloniale et partenaire-clé du Burkina, on a immédiatement souligné le problème de la légitimité du nouvel homme fort du pays. Le Burkina Faso n'a jamais rien vécu de comparable et d'ailleurs certains pays le lui ont rendu, plutôt en mal, en qualifiant ce pays d'«ilôt de stabilité» et son leader de «sage africain». Un bien mauvais service, sinon une fausse appréciation, puisque ce pays a, bien malgré lui, fini par ressembler à un volcan et cracher non pas sa lave, mais sa colère. Blaise Compaoré, producteur de désespoir Une colère enfouie depuis des années et que le rang mondial, peu enviable de ce pays au plan international, n'a fait qu'accentuer. Normal quand on est producteur de désespoir, décimant les élites, bouchant tous les horizons. Il est donc facile de déduire que ce qui se passe au Burkina Faso depuis mardi dernier, c'est d'abord l'expression d'un ras-le-bol, et le rejet d'une espèce de fatalité et depuis ce jour, semble s'être engagé un processus que plus rien ni personne ne paraît en mesure de maîtriser. C'est bien une révolte contre le président Blaise Compaoré au pouvoir depuis 1987, et qu'il refuse de quitter, la meilleure manière selon lui, en émettant une réforme de la Constitution du pays et son article 37 qui fixe à deux le nombre des mandats. Il s'y est préparé et le Parlement burkinabé devait voter jeudi dernier cet amendement, mais il en a été empêché. Et pour cause, le Parlement était en feu et ses bureaux saccagés. Cette fois, l'opposition a appelé, hier, le peuple à «maintenir la pression» et a exigé le départ «sans condition» du président Compaoré, qui a promis jeudi une transition au Burkina Faso, mais refuse de démissionner. Signe qu'elle est en position de force, l'opposition ne demande plus seulement que Compaoré ne se présente plus, mais depuis peu, elle considère que «le préalable à toute discussion relative à toute transition politique est le départ pur et simple et sans condition de Blaise Compaoré», une incroyable évolution rendue possible par la réponse massive de la population à l'appel de l'opposition. Cette crise a provoqué l'intervention des militaires, puis du président Compaoré dans la nuit, créant la confusion générale. Le chef d'état-major des armées, Nabéré Honoré Traoré, dans un communiqué lu par un officier, a annoncé la création d'un «organe de transition» chargé des pouvoirs exécutif et législatif, dont l'objectif est un retour à l'ordre constitutionnel «dans un délai de douze mois». Venu par un putsch, Chassé par un putsch… Un air de putsch ? Oui, finit-on par constater quelques heures plus tard. Le pays en a connu d'autres, puisque le président Compaoré est arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 1987. Quel sens donner à l'intervention de l'état-major, mais aussi aux propos du chef de l'Etat, déclarant avoir pris «la juste mesure des fortes aspirations au changement» et sa disponibilité à «ouvrir des pourparlers» pour «une période de transition» à l'issue de laquelle il «transmettra le pouvoir au Président démocratiquement élu». Pour l'opposition, «toute transition politique à venir doit être conçue, organisée (...) autour des forces de la société civile et intégrer toutes les composantes de la nation (...), y compris l'armée». Ce qui suppose alors des négociations et donc des arrangements pour que cela se fasse sans heurt et sans conséquence pour les dirigeants actuels, si jamais des mesures être envisagées. Mais en fin de compte, une transition sans Blaise Compaoré.