La secrétaire d'Etat américaine, que l'on disait porteuse d'un plan de sortie de crise, a pris acte hier de l'échec de sa mission. Un échec précipité voire décidé par Israël, qui a commis, quelques heures auparavant, un véritable massacre dans le village de Qana au Sud-Liban, confortant la thèse selon laquelle, le criminel revient toujours sur les lieux du crime. Il y a exactement dix ans, la même aviation israélienne y avait bombardé un bâtiment des Nations unies faisant cent tués. Un acte délibéré avait conclu un rapport de l'ONU, comme celui d'hier. Et c'est tout juste, si Condoleezza Rice, qui retourne aujourd'hui à Washington, a appelé Israël à tout faire pour éviter les morts de civils. Ce qui est incompatible avec cette autre déclaration, selon laquelle il est temps de parvenir à un cessez-le-feu. Une proposition aussitôt rejetée par le Premier ministre israélien, mais de leur côté, les Libanais ont eux aussi pris acte du massacre commis par Israël et certainement de la position de Condoleezza Rice confortée quelques heures plus tard par une autre déclaration émanant de la Maison-Blanche soulignant qu'Israël a « le droit de se défendre ». Le Liban a décidé, en effet, de ne pas recevoir Mme Rice pratiquement déclarée « persona non grata » . C'est d'abord le Premier ministre libanais, celui-là même qui l'avait reçue la semaine dernière à Beyrouth, qui a fait savoir que son pays « réclame un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel avant toute chose ». Qualifiant les dirigeants israéliens de « criminels de guerre », M. Siniora a exclu toute négociation sans « un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel ». Le chef du gouvernement a demandé à « la communauté internationale et arabe de rester unie devant les criminels de guerre israéliens et la persistance d'Israël dans ses crimes haineux contre nos civils ne brisera pas la volonté du peuple libanais ». « Il n'y a pas de place pour des discussions en cette triste journée », a déclaré le Premier ministre à la télévision, en demandant « une enquête internationale ». « VOUS N'ÊTES PAS LA BIENVENUE » Mme Rice « devrait réfléchir deux fois avant de venir à Beyrouth », a déclaré le président libanais, Emile Lahoud. Un député du Hezbollah, Hussein Hajj Hassan, a lancé à l'adresse de Mme Rice : « Il est hors de question que vous veniez à Beyrouth avant un cessez-le-feu. Vous n'êtes pas la bienvenue, car vous êtes responsable du massacre de Qana. » Le Liban s'est également braqué sur les conditions d'échanges des prisonniers. Le président du Parlement a déclaré que les conditions qu'il avait fixées pour l'échange de deux soldats israéliens capturés par le Hezbollah « ont changé » après le bombardement de Qana. M. Berri, mandaté par le Hezbollah dans cette affaire, a déclaré que ces conditions qui stipulent que l'échange sera limité aux prisonniers libanais détenus en Israël « ont changé ». « J'avais dit qu'il y a des prisonniers libanais à échanger contre les soldats israéliens capturés », a déclaré M. Berri. « J'avais adopté cette position très modeste pour mettre fin à l'effusion du sang (...) Après ce qui est arrivé, les conditions ont changé et la proposition a changé », a-t-il dit. Avant le massacre d'hier, l'idée de Washington de créer rapidement un contingent multinational autorisé à faire usage de la force, paraissait déjà fort compromise. « Il est impossible de discuter sans un cessez-le-feu total et pour qu'un cessez-le-feu soit durable, il faut s'attaquer aux causes du conflit », a indiqué hier le représentant de la Ligue arabe à Paris, Nassif Hitti. Ce point de vue est partagé par Timur Goksel, professeur à l'université américaine de Beyrouth (AUB), qui estime que le déploiement d'une force de stabilisation n'est autre qu'un « replâtrage ». « La proposition américaine est une absurdité. Elle peut au mieux permettre de gagner du temps », selon cet ancien porte-parole de la Finul. La veille, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah avait rejeté l'idée d'une telle force de stabilisation en déclarant : « Rice revient au Liban pour imposer ses conditions dans le cadre de son plan sur le nouveau Moyen-Orient. » Pour ne pas être en reste, Moscou a également fait savoir que « tout accord » sur le Liban doit être « coordonné » avec toutes les parties, « y compris le Hezbollah ». « Il faudra encore beaucoup de tractations pour créer les conditions d'un arrêt des hostilités de façon durable », assure M. Hitti, qui se dit en accord total avec les dernières propositions de Fouad Siniora pour un « accord global ». Le Hezbollah n'a accepté pour l'heure ces propositions que « du bout des lèvres ». L'accord prévoit notamment que les Fermes de Chebaa -occupées par Israël et que le Hezbollah veut récupérer par la force- soient mises sous « la juridiction de l'ONU » et que soit réactivé l'accord d'armistice signé par le Liban et Israël en 1949. L'acceptation d'un tel accord est de nature à mettre fin définitivement au conflit frontalier libano-israélien, et à satisfaire toutes les parties. En théorie, car de nombreuses zones d'ombre n'ont pas été dévoilées, comme le plan américain en question. De toute évidence, le débat est revenu hier dans l'enceinte onusienne qu'il n'aurait jamais dû quitter. Une réunion des pays devant intégrer la future force internationale a été convoquée pour aujourd'hui par le secrétaire général de l'ONU. Peut-être servira-t-elle - ce qui est plus hypothétique - à agréger les réactions internationales suscitées par le massacre d'hier, en une condamnation en bonne et due forme de l'agression israélienne, à ne pas confondre avec une condamnation d'Israël une démarche qui ne sera jamais acceptée par le Conseil de sécurité, ce qu'il n'a jamais fait depuis sa création en 1948 ? Le Liban espérera au moins que se fasse une décantation pour savoir avec exactitude qui est avec qui.