Les éditions El Kalima viennent de faire paraître le témoignage d'un appelé sur les horreurs qui ont eu lieu dans la Villa Sésini durant la guerre de libération. L'auteur du livre y a passé dix mois, soit de juin 1961 à mars 1962. «Ces dix mois à la Villa Sésini à Alger furent vraiment un enfer, une galère qui marque une vie d'une façon indélébile», écrit-il au début du livre. Il y a vu ce que son pays, celui des droits de l'homme, était capable de faire subir à l'être humain. ça n'a pas de nom ! «Originaire d'une famille de condition très très modeste», selon ses propres propos, l'auteur raconte sa vie paisible dans la campagne, en Sologne, entre Orléans et Gien, celle d'écolier, puis celle de lycéen. Cet élément jugé «subversif» — pour avoir participé à des manifestations contre la guerre en Algérie —, qui espérait ne pas passer son service militaire dans ce pays, y a été dirigé exprès, dirait-on, et, en plus, en tant que tortionnaire, dans une belle villa de rêve, devenue à tout jamais sinistre, pour assister, s'adonner avec ses compagnons, une vingtaine en moyenne, non pas aux «interrogatoires poussés», selon la trouvaille du général Massu, mais aux liquidations sommaires, toutes les techniques et autres inventions de torture, les viols… Plusieurs années après l'indépendance de l'Algérie, en France, tout ce qui touchait aux méfaits du colonialisme était un sujet tabou. La preuve, le mot «guerre» n'a été «reconnu», utilisé, — on parlait lors de cette guerre et bien plus tard encore d'«opérations de police», de «maintien de l'ordre», «événements d'Algérie», etc.— qu'après une quarantaine d'années. Henri Pouillot trimballera ces horreurs et leurs retombées traumatisantes, après sa démobilisation, jusqu'au moment où, dans les années 2000, certaines langues s'étant déliées, il dénoncera la torture, — plus grave encore —, la torture érigée en institution. De fait, en 2001, il fera paraître ce témoignage aux éditions Tirésias, à Paris. «L'armée française en Algérie et certains corps de police ont perpétré des crimes de guerre là où ils étaient censés rétablir l'ordre, c'est un fait indiscutable. Et si des hommes ordinaires ont commis des forfaits, souvent à contrecœur, c'est sous la pression consciente d'intérêts politiques et économiques incarnés dans des personnalités profitant d'une totale impunité», écrit dans la préface Bernard W. Sigg, psychanalyste, vice-président de l'Association républicaine des anciens combattants pour l'amitié, la solidarité, la Mémoire, l'antifascisme et la paix. En ce temps-là, l'armée française, qui avait essuyé plusieurs défaites, avait carte blanche, pour redorer son blason, de «pacifier» l'Algérie, comme le dit si bien le général Paris de la Bollardière, qui s'était élevé contre la torture et avait refusé de la pratiquer, et qui, de ce fait, vivra de redoutables représailles. Les autorités civiles et militaires savaient tout ce qui se passait dans ce sinistre lieu, mais l'omerta et le mensonge étaient la règle. Aussi, l'auteur écrit-il ceci : «On ne rendait jamais de comptes, ni à la police, ni à la gendarmerie, ni à la justice… on avait TOUS les DROITS.» (en majuscules dans le texte). Tous les droits de faire subir aux indigènes, aux suspects, tout ce qu'on voulait ! Dans son analyse, l'auteur, qui incite l'Etat français à reconnaître cette pratique de la torture et les exactions commises, en est amené à dire que si le racisme fait des ravages en France vis-à-vis des communautés maghrébines, c'est parce qu'il n'est que le fruit du colonialisme, que «tant que subsistera cet arriéré, l'intégration des communautés restera difficile à réaliser», et que, pis encore, «le ferment du racisme continuera de se développer tranquillement». Plus jamais ça ! Un livre qui se veut «un cri d'espoir » ! Un bémol : la mauvaise qualité de la reliure ; le livre, une fois ouvert, s'effeuille.