Il a légué aux nouvelles générations une œuvre monumentale qu'elles doivent s'approprier et fructifier.Décédé dimanche dernier d'une attaque cardiaque à l'hôpital de Aïn Naâdja, l'historien Mahfoud Kaddache a été inhumé hier au cimetière de Ben Aknoun à Alger. Une nombreuse foule a tenu à accompagner le défunt à sa dernière demeure. Parmi laquelle des animateurs des scouts musulmans algériens (SMA) toutes générations confondues, des universitaires et anciens étudiants du disparu. Et d'anciens militants des droits de l'homme pour lesquels Mahfoud Kaddache a témoigné avec Mahfoud Boucebsi en leur faveur en décembre 1985 devant la Cour de sûreté de l'Etat à Médéa. Rencontrés sur les lieux, beaucoup parmi ces personnes qui le connaissent relèvent avoir gardé de lui l'image d'un homme modèle, un éducateur et un enseignant émérite. « Je l'ai connu en 1953, j'avais 11 ans. Il était secrétaire général des SMA. C'est un homme modèle. Il partage avec nous la tente dans les camps scouts. Il nous faisait des conférences sur le nationalisme. C'est un chef exemplaire. Après l'indépendance, il partageait son temps entre l'université où il enseignait et les SMA. C'est un grand formateur. Il a formé plusieurs générations de scouts », raconte Abdelkader Mokhbi du groupe El Kotb (SMA). Membre du groupe El Ijtihad (SMA), Abdelkader Boussoufa voit en le défunt « un homme modeste. Il nous récitait des poèmes. J'étais récemment en Angleterre, des gens m'ont demandé de ses nouvelles. Sa réputation dépasse les frontières de notre pays ». Journaliste, Arezki Aït Larbi rappelle le témoignage de Mahfoud Kaddache à côté de Mahfoud Boucebsi lors du procès des militants de la Ligue des droits de l'homme en décembre 1985. « Nous étions une vingtaine de militants des droits de l'homme à passer devant la Cour de sûreté de l'Etat en décembre 1985 pour atteinte à l'autorité de l'Etat, création d'association illégale et distribution de tracts. Sur les cinquante témoins convoqués, seuls Mahfoud Boucebsi et Mahfoud Kaddache se sont présentés. Ils ont témoigné en notre faveur », relate-t-il. Maître Ali Yahia Abdenour compte lui aussi parmi ces détenus. « C'est un ami personnel de plus de 50 ans. C'est un observateur averti et un historien militant. Il a donné aux SMA une dimension humaniste. Il a laissé aux jeunes générations une œuvre très riche qui doit être fructifiée. Je salue sa mémoire. Il est venu témoigner lors du procès des militants de la Ligue des droits de l'homme en 1985. Le président de la cour lui a dit : ‘‘est-ce que vous dites la vérité ?'' Mahfoud Kaddache lui répond : ‘‘regardez-moi bien dans les yeux, je dis la vérité. Et si vous ne suivez pas cette vérité, l'Algérie ira vers la catastrophe'' », relate-t-il. Ancien étudiant de Mahfoud Kaddache, conservateur aux archives nationales, Fouad Soufi indique qu'« il nous a donné de la connaissance. Il m'a suivi jusqu'au doctorat. Il nous a fait découvrir l'Algérie et son histoire et nous a montré le rapport à entretenir avec les archives. Au même temps, il a innové en introduisant le témoignage oral dans l'écriture de l'histoire. Innovation qu'il nous a enseignée. Il a lancé la revue de l'Histoire et de la Civilisation du Maghreb, disparue en 1975, car interdite ». « Je le connais il y a des décennies, relève Omar Hachi, universitaire. J'étais son ancien élève puis enseignant comme lui. C'est un exemple pour nous. C'est un pan de ma vie qui part avec sa disparition ». Pour Omar Carlier, professeur d'histoire à l'université Paris V, le disparu laisse derrière lui « une œuvre considérable, c'est aussi un historien et un militant constituant un exemple pour les nouvelles générations ». « J'étais son élève au lycée dans les années 1954 et 1955, se souvient Bachir. Les élèves français disaient de lui que compte tenu de son engagement patriotique, si ce n'étaient ses qualités humaines, intellectuelles et pédagogiques, le gouvernement n'aurait jamais laissé enseigner dans un lycée d'Alger cet ancien instituteur émérite ». Notons que Mahfoud Kaddache est né en 1921 à la Casbah d'Alger. Il mène de brillantes études : certificat d'études, brevet élémentaire, brevet supérieur, licence d'histoire, et quelques années plus tard, doctorat d'Etat. Il devient un des animateurs principaux des SMA où il assume très tôt des responsabilités. Adolescent, il est commissaire local puis chef du groupe El Kotb en 1940. Ensuite, il devient secrétaire général. Vient la guerre d'indépendance de 1954. Il répond présent. Il est menacé par un article du journal Rivol puis échappe à deux attentats de l'OAS. Au cours d'une audience accordée par le général de Gaulle, il plaide avec l'écrivain Mouloud Feraoun en faveur de la négociation et la paix. Après l'indépendance, il se consacre à la recherche et à l'enseignement. Il écrit ainsi quatorze ouvrages, entre autres : « L'Algérie médiévale » (éditions Enal, Alger 1992), « Histoire du nationalisme algérien » (éditions Enal, Alger 1993). En 2003, il publie « L'Algérie des Algériens de la préhistoire à 1954 » (éditions Paris-Méditerranée). Ouvrage qui regroupe quatre livres publiés séparément, à savoir : « L'Algérie dans l'Antiquité », « L'Algérie médiévale », « L'Algérie durant la période ottomane » et « L'Algérie des Algériens ».