Ce fut un historien du mouvement nationaliste et un dirigeant des scouts. Modestie et rigueur sont les qualités essentielles de l'historien Mahfoud Kaddache, décédé dimanche à l'hôpital militaire de Aïn Naâdja, à l'âge de 85 ans. Né en 1921 à la Casbah d'Alger, orphelin de père à l'âge de 6 ans, il a exercé différents métiers, dont marchand de légumes et vendeur de produits de beauté dès son jeune âge. Ce qui ne l'empêche pas en parallèle d'effectuer un parcours scolaire brillant, en décrochant successivement un certificat d'études primaires, puis le brevet élémentaire. En accédant à l'Ecole normale, il obtient son brevet supérieur, puis la licence d'histoire, et quelques années plus tard, le diplôme d'études supérieures puis le doctorat d'Etat. Ce que l'on peut dire de ce brillant élève féru d'histoire, c'est qu'il fut un militant de la cause nationale, puisque dès l'adolescence, on le retrouve aux Scouts musulmans algériens, dont il fut l'un des piliers, en occupant diverses responsabilités au sein de cette école du nationalisme: dont commissaire local, chef de groupe «El Kotb» à Alger, avec lequel il participe aux manifestations du 1er Mai 1945 à Alger, violemment réprimées par la police coloniale. Il y a une année, alors qu'il nous recevait dans son appartement, situé sur les hauteurs d'Alger, il nous montrait justement ses photos de scout, et nous racontait que le 1er Novembre 1954, il se trouvait justement à El Riadh (centre de Tixeraine) pour un regroupement de scouts musulmans algériens. Toujours est-il qu'il devint en 1953 secrétaire général des SMA avant d'en devenir le président de 1957 à 1962. En tant que militant de la cause nationale, il fut sympathisant actif du mouvement pour les libertés démocratiques (Mtld 1947-1954), et dut subir plusieurs arrestations et détentions tout en faisant l'objet de plusieurs tentatives d'assassinat par l'Organisation de l'armée secrète (OAS). A l'indépendance, il exerce la profession de professeur d'histoire à l'université d'Alger, puis inspecteur général auprès du ministère de l'Education nationale. C'est en tant qu'historien justement qu'il eut à publier des ouvrages d'une extrême importance pour l'histoire de l'Algérie et du Maghreb. Il se révèle un précieux témoin du siècle. On ne compte pas le nombre de livres qu'il a édités, tous aussi importants les uns que les autres. A ce titre, il est l'un des meilleurs connaisseurs de l'histoire générale de l'Algérie et de celle du mouvement national. L'un de ses livres phares est intitulé L'Algérie des Algériens (des origines à 1954). C'est un ouvrage monumental qui retrace l'histoire complexe et mouvementée de l'Algérie, depuis son occupation au Paléolithique jusqu'à la domination des derniers envahisseurs, les Français. Des premières sociétés berbères jusqu'à la création du FLN, l'auteur s'attache à montrer comment tous les peuples qui se sont croisés, suivis et mêlés sur ce sol -Phéniciens, Romains, Arabes, Ottomans-, ont façonné une identité originale, celle de l'Algérie moderne. Par ailleurs, l'auteur de l'histoire du nationalisme algérien parachève son oeuvre par un dernier volume consacré à la guerre de Libération nationale (1954-1962). C'est le premier ouvrage de cette ampleur consacré à la Guerre d'Algérie par un auteur algérien, qui a eu accès à toutes les sources disponibles sur la rive sud de la Méditerranée, qui les examine avec la plus grande rigueur et le souci de rendre compte de nombreux faits, de rapporter les actions des multiples combattants, souvent passés inaperçus dans l'historiographie française. En se basant sur des documents et archives d'époque, appliquant une méthode rigoriste, Mahfoud Kaddache a imprimé un nouvel esprit à l'écriture de l'histoire de l'Algérie, en excluant tout esprit de chapelle. Il avait rappelé, lors de son passage à L'Expression, que Boumediene avait donné l'ordre de ne s'intéresser qu'aux événements, et de ne pas accorder trop d'importance aux personnes. Néanmoins, Mahfoud Kaddache a su rester objectif, complet, et garder une vision d'intellectuel, d'universitaire non marqué par les luttes conjoncturelles, ce qui donne une valeur à ses recherches et ses travaux. Il fut le dernier témoin du siècle. Par ailleurs, rapporte l'APS, plusieurs personnalités nationales algériennes ont considéré, hier à Alger, le décès de l'historien Mahfoud Kaddache comme «une perte», le qualifiant de «grand militant du mouvement national». Pour M.Abdeslam, qui s'exprimait au forum d'El Moudjahid, Mahfoud Kaddache «a apporté, sur le plan intellectuel, une contribution dans l'écriture de l'histoire du mouvement national», ajoutant qu'il a laissé une oeuvre écrite «très précieuse» pour les générations futures. De son côté, le vice-président du Conseil de la nation, M.Abderezzak Bouhara, qui était «un compagnon» du défunt, a affirmé que «c'est une grande figure qui disparaît», estimant que «le monde des intellectuels algériens perd un de ses grands piliers». Le ministre de l'Emploi et de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès, a indiqué que Mahfoud Kaddache a consacré toute sa vie à l'écriture de l'histoire du mouvement national, soulignant que «c'était un patriote national connu pour sa rigueur scientifique et ses positions courageuses».