La première nouvelle, dont le titre est repris par celui du recueil — dédiée à Tahar Djaout —, donne déjà le ton de/sur ce qui va suivre, et une idée sur l'art et les valeurs humaines d'Emmanuel Roblès. Oui, pour être femme de ménage chez Mme le juge, Malika n'en est pas moins une d'honneur, faisant passer sa dignité avant toute chose. Des «excuses ou rien», c'est ce qu'elle demande à cette dame pleine de morgue, suite au fait que celle-ci lui a cherché noise ; «ou rien», c'est-à-dire «gardez votre argent», qui est pourtant son dû, à elle, Malika. Cela se passait juste après l'occupation de la France par les Allemands. Des écrivains pieds-noirs s'étant penchés sur des Algériens, «citoyens» de seconde zone dans leur propre pays, bref des indigènes, pour en faire des personnages principaux, des héros de romans ou nouvelles, on en compte si peu, pour ne pas dire aucun. Aussi, sur ce plan-là, Emmanuel Roblès est si proche de cette terre d'Algérie, qui l'a vu naître à Oran, de ses concitoyens, lui, l'Espagnol d'origine. On en connaît qui se sont efforcés à les (Algériens) reléguer à un monde parallèle, à les rendre invisibles. Dans la préface, Guy Degas écrit que dans ses nouvelles, Emmanuel Roblès «a entrepris», citant Jean Rousselot, «de saisir le réel en certains moments de tension, de crispation où il devient quelque chose comme sa propre essence et se voit contraint de tirer soi-même une moralité». Et d'ajouter : «Un réel bien particulier : celui de l'Algérie coloniale, de l'Algérie en train de se libérer du joug colonial». La nouvelle Du soleil sur les mains, avec en préambule ou en exergue un poème (en arabe et en français) de Himoud Brahimi, dit Momo, est une ode célébrant les petits métiers, qui «ont leur morale et leur signification», ainsi qu'une galerie de portraits de petits artisans. Garche, le «bataillonnaire» d'Afrique, condamné à un an de prison pour avoir joué les «durs», oublie sa dulcinée et presque ses amis, qui l'ont pourtant aidé à rester en relation avec elle par lettres interposées. Le Bal du dimanche est écrite à la première personne du singulier ; un homme, marié et père de deux enfants, en a assez de la routine quotidienne. Au lieu de se promener avec sa famille ce dimanche-là, se remémorant une rencontre avec une belle femme, il soliloque, le revolver à la main — la nouvelle est dépourvue de ponctuation —, et puis, d'un coup, des points de suspension, comme un coup de feu. Le Rossignol de Kabylie, nouvelle dédiée à Mouloud Feraoun, raconte un chantre de cette région, Noreddine Aït Kaci, qui compose des poèmes comme vous respirez. Des soldats français viennent admirer le poète chez lui, puis, soupçonneux, les djounoud viennent le chercher pour le tuer. Ils ne le feront pas. Sur le chemin du retour, alors qu'il chantait, une balle le terrassa. L'on ne semble pas accorder de l'importance au côté duquel est venue la balle mortelle, car, ce qui compte, c'est que «le destin, pour le saisir, avait attendu ce chant d'espoir». Oui, l'on nage en plein absurde avec l'auteur, mais il s'agit d'un peuple qui veut se libérer… Dans La Folle, il est question d'une belle jeune femme racontée par un enfant de dix ans. Folle ? Les tourments de l'amour semblent lui avoir broyé le cœur et la forcent à partir… ailleurs. Dans Toros à Oran, c'est l'apologie de la tauromachie ; l'auteur relève ceci : «Ernest Hemingway a justement écrit que la course n'est pas un sport au sens anglo-saxon du terme, mais bel et bien une tragédie, car à l'issue des trois actes traditionnels qu'elle comporte, un des deux personnages doit mourir, vraiment mourir. Et qu'on ne dise pas que c'est fatalement le taureau». L'attentat de la banque Levasseur, basée, dit-on, sur un fait divers remontant aux années 1930, retrace l'histoire d'un casse à Oran, «motivé» par les rêves des personnages, tels que Miguel et Ricardo, des rêves «personnels» et d'autres communautaires.