Les récentes dispositions de la Banque centrale qui permettent — sous certaines conditions et pour mieux valoriser les activités déjà présentes sur notre sol — d'investir dans des pays étrangers sont une évolution positive mais nettement en deçà de ce que doit faire un pays qui aspire à l'émergence. Certes, même un petit pas doit être salué. De nombreux hommes d'affaires sont contents d'acquérir des plateformes, des aires de stockage, des moyens de transport, etc. pour mieux exporter leurs produits. Ceci va dans la continuité des politiques d'encouragement à l'exportation. Mais si l'on veut tirer profit de l'intégration à l'économie mondiale, il faut faire plus et mieux. Nous allons explorer certaines pratiques et prévoir ce qu'il y a lieu d'envisager. Le thème est si sérieux qu'il nécessite une réelle prise en charge par une institution publique capable de venir avec des propositions judicieuses au gouvernement pour trancher sur un certain nombre de questions. La Banque centrale ou le ministère des Finances peuvent bien se saisir du dossier. Cependant, il est nécessaire de communiquer intensément avec toutes les entités et les personnes intéressées : syndicats, patronat, cadres publics, ONG, experts algériens et expatriés, etc. Ces concertations permettront de mieux préciser les objectifs et les mécanismes à mettre en œuvre, en vue de tirer le maximum des possibilités internationales. Ce qu'on a manqué de faire La crise économique mondiale est autant un problème qu'une opportunité. Elle contribue à réduire la demande en énergie et donc à baisser le niveau des prix, ce qui est un résultat décevant pour nous. Nous ne pouvons pas détailler les nombreuses affres qu'elle provoque. Mais les pays vigilants en tirent quelques bénéfices : on peut acheter des entreprises de haute technologie à des prix qui font rêver. Nous n'avons pas à aller très loin pour en apprécier les conséquences. Cevital vient d'acquérir l'entreprise d'aciéries spéciales (Lucchini) pour moins de 10 millions d'euros. Bien sûr, qu'il y a derrière tout un projet industriel à développer. Mais l'entreprise italienne qui fabrique des alliages de métaux spéciaux a un précieux savoir-faire que l'on peut valoriser chez nous. Les acquisitions de Fagor Brandt vont créer en Algérie plus de 7000 emplois et une capacité d'exportation d'au moins un milliard de dollars. Les entreprises publiques et privées performantes auraient pu réaliser des acquisitions internationales à moindre coût et construire une réelle base industrielle pour une saine émergence. Imaginons un instant que c'est une entreprise algérienne — publique ou privée — ou un fonds d'investissement spécial qui aurait acheté l'entreprise suédoise Volvo pour 1,8 milliard de dollars. Nous aurions pu délocaliser une grande partie de ses activités chez nous et constituer une plateforme pour exporter. On aurait pu produire plus de 500 000 véhicules par an et nous déployer en Afrique, réduire les importations de plus de 6 milliards par an, créer des emplois chez nous et développer nos capacités d'exportation hors hydrocarbures. Mais il n'y a pas que cela. Supposons que nous avions acheté cinq ou six entreprises spécialisées en technologies agricoles. Nous aurions développé des semences spéciales qui conviennent le mieux à nos sols, amélioré nos capacités de valorisation des terres des Hauts-Plateaux pour parvenir au moins à l'autosuffisance alimentaire dans de nombreux domaines, surtout le blé et le lait. Ces produits sont stratégiques et relèvent de la sécurité nationale, en plus d'une réduction de la facture alimentaire. Une industrie des TIC florissante aurait vu le jour sur les mêmes bases. Les craintes et ce qu'il convient d'entreprendre Il y a deux problématiques à explorer dans ce contexte. La première a trait aux investissements des entreprises publiques et privées. La crainte des pouvoirs publics s'explique par la hantise des transferts de capitaux et des risques de malversations qui peuvent en découler. Les inquiétudes liées à ces risques sont réelles. On peut les minimiser, mais ne jamais les éradiquer. Il y a des outils et des méthodes pour en minimiser les risques. Ils sont trop nombreux à être évoqués ici. Une analyse des meilleures pratiques internationales pourrait nous inspirer pour la plupart des décisions à prendre. On pourrait réserver ces investissements internationaux aux entreprises publiques et privées les plus rentables en plus d'un fonds souverain. L'acquisition acceptable se ferait à partir d'une analyse d'impact sur la balance de paiement sur le long terme avec des engagements fermes de rapatriement d'une grande partie des dividendes. Les retombées d'une stratégie d'acquisition d'entreprises étrangères en mauvaise posture pour créer l'émergence s'avèreraient plus bénéfiques qu'une relance par un secteur public en mauvaise posture ; et même plus favorable que l'Investissement direct étranger (IDE). Ce dernier donnera lieu à des sorties de dividendes tôt ou tard. L'acquisition, au contraire, conduira à des exportations, donc à des entrées de ressources. La Chine est en train de moderniser une grande partie de ses industries grâce à cette pratique. Des entreprises de production de tracteurs en Europe ont été achetées et ceci a conduit à une modernisation de ces produits en Chine. Libérer, avec des outils de contrôle adaptés, les acquisitions technologiques serait le moyen le plus sûr, le plus efficace et le plus rentable pour réindustrialiser notre pays. Il a été une demande constante de la plupart de nos experts. Nous avons fait un petit pas en ce sens. On espère qu'il ne sera pas le dernier. Les responsables ont intérêt à désigner une commission d'experts pour préparer le fonds d'investissement et les textes qui vont libérer les entreprises. En attendant, ce sont les autres pays plus dynamiques qui font les meilleures affaires ; et il ne nous restera que les miettes.