«Laisse-Moi Dormir», «Light, Médiocre, Débile», ou encore «Liquidation en Masse Des étudiants», les étudiants rivalisent de subtilités linguistiques pour dire leur refus du système Licence-Master-Doctorat. Et, face aux problèmes liés à sa mise en œuvre, l'acronyme LMD inspire. Depuis son installation par une réforme de l'enseignement supérieur imposée dès 2004, une véritable cacophonie règne à l'Université. Dans une interview accordée hier à notre confrère du quotidien arabophone El Khabar, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Mohamed Mebarki, installé en septembre 2013, reconnaît en filigrane le malaise induit par ce système. «Son application (le système LMD) durant toutes ces années a occasionné quelques dysfonctionnements et problèmes que nous avons réglés au fur et à mesure», affirme-t-il expliquant ces failles par «le défaut de préparation et le manque des conditions appropriées» et surtout que «la compréhension (du système) n'est pas la même pour les enseignants, les étudiants et l'administration universitaire». Pour le ministre, «il faut plus de temps pour régler les dysfonctionnements du LMD». Seulement, il faut savoir que la perte de temps à l'échelle des réformes, dans un secteur aussi névralgique que l'enseignement supérieur, prend en otage l'avenir de générations de diplômés. Chaque année, l'Université en produit près de 300 000. Face à l'absence d'un bilan exhaustif, dix années après sa mise en place, les «dysfonctionnements» causés par le système LMD sont multiples, complexes et profonds. Manques de moyens A commencer par les moyens mis en place pour son fonctionnement. L'Université algérienne, c'est plus de 1,3 million d'étudiants. Près de 200 000 nouveaux bacheliers rejoignent les bancs de l'enseignement supérieur chaque année. Face à ce grand nombre d'apprenants, les responsables des universités s'attellent à la lourde tâche de la gestion des flux qui a indéniablement des répercussions chaotiques sur la qualité de la formation. Objectif : un rendement maximal pour éviter le blocage et libérer des places pour les nouveaux inscrits. Résultat : des sessions de rattrapage et application quasi systématique du rachat pour garantir l'accès aux classes supérieures pour la majorité des apprenants. Seulement, le système LMD est très friand de moyens. Et pas seulement de places pédagogiques, de lits et de plateaux restaurant. Il est insensé que des groupes normalement constitués de 15 étudiants comptent réellement une cinquantaine. Par ailleurs, il est toujours utile de rappeler que la norme OCDE est de 10 000 euros par étudiant et par année. Cette dépense est de l'ordre de 22 000 euros annuels aux USA. Pour l'Algérie, l'Etat débourse un peu moins de 2000 euros. C'est donc très loin des frais nécessaires pour garantir une bonne prise en charge des étudiants telle que pratiquée dans les pays précurseurs du LMD. Encadrement inadéquat Améliorer la qualité de la formation, c'est la phrase leitmotiv du premier responsable du secteur depuis son installation. Seulement, rien n'indique que les bonnes décisions ont été prises dans ce sens. L'encadrement universitaire, avec son ratio de un enseignant pour 29 étudiants, même s'il répond aux normes de l'Unesco (un enseignant pour 30 étudiants), reste en-deçà des exigences du LMD. Obnubilé par la gestion des masses et pour pallier le rush annuel, le recrutement des enseignants et encadreurs se fait sans réels critères de compétences pédagogiques. Ce qui fera dire à un responsable du CNES : «On recrute des diplômés et non pas des enseignants». L'indicateur compétences pédagogiques est d'ailleurs quasiment occulté au bénéfice des travaux de recherches scientifiques pour la promotion des enseignants, ce qui ne favorise pas la transmission du savoir. Lors d'un colloque sur l'évaluation dans le système LMD organisé fin octobre à l'université Constantine 1, les intervenants ont constaté que des enseignants développent dans le LMD les mêmes méthodes de cours issus de celui dit classique. «Il y a une confusion entre la stratégie et les procédés des deux systèmes. La majorité des enseignants n'ont pas été formés et informés pour l'application de ce système», avait déclaré le Dr Rachid Chikhi. Qualité de la formation et valeur des diplômes Les universités algériennes sont très mal positionnées dans les classements internationaux, voire ils n'y figurent carrément pas. A plusieurs occasions, Mohamed Mebarki tente d'expliquer cette carence par des critères qui n'avantagent pas l'Algérie. Seulement, la qualité, y compris celle de l'enseignement, ne se décrète pas. A cause de la politique de la gestion des masses, le nivellement par le bas a induit une chute vertigineuse de la valeur des diplômes. Comment expliquer alors que beaucoup d'entreprises, publiques y compris, rechignent à recruter des diplômés du système LMD, leur préférant ceux issus du classique ? «Pour la reconnaissance des diplômes, le problème se pose au niveau du marché du travail qui reste inadapté à ce système. Il y a aussi un manque en matière de réglementation. Les détenteurs de licence ont beaucoup souffert de ce problème, y compris avec la Fonction publique», a déclaré le ministre à El Khabar. «Nous sommes en Algérie, ces diplômes sont obtenus en Algérie, les diplômés qui sont issus des universités algériennes ont exactement les mêmes droits», ajoute-t-il plus tard. Malheureusement, les diplômés continuent de souffrir de ces interminables luttes pour la reconnaissance de leurs cursus. Prenons pour exemple la récente révolte des étudiants LMD en architecture. Après avoir manifesté dans plusieurs universités pour avoir l'agrément, les ministères de l'Enseignement supérieur et celui de l'Habitat ont décidé conjointement de mettre sur le même pied d'égalité les détenteurs de master et les ingénieurs dans la spécialité. Seulement voilà : qu'adviendra-t-il des licenciés, ceux qui n'auront pas le droit d'accéder au master ? Pour ceux-là également, il faudra du temps pour statuer ! La gouvernance Ces dernières semaines, plusieurs universités algériennes ont connu des perturbations assez marquées. Les principales revendications des étudiants portaient sur le «droit d'accès au master» et le choix des filières. Ces grèves sont souvent motivées par une incompréhension quasi chronique entre les étudiants et leurs tutelles. Au début, lors de l'installation du LMD, il était dit que l'accès au master était assuré à tous les étudiants. C'était une manière de faire accepter ce nouveau système par les apprenants. Et voilà que face aux exigences du système lui-même, le passage à ce niveau de post-graduation s'est révélé restrictif. Selon le ministre, seuls ¾ des licenciés y ont droit. Mal informés et animés de l'esprit de suspicion, les étudiants contestent tout de go et les critères de classement et les résultats des concours, dénonçant souvent passe-droits, népotisme et corruption. Et le constat est identique pour les étapes suivantes du cursus universitaire. «Il y a un problème de gouvernance. Et cela est provoqué par la primauté de l'administration sur la pédagogie et la recherche scientifique», dénonçait un enseignant présent au colloque sur l'évaluation dans le LMD. Tous ces problèmes inhérents au LMD, qui ne peuvent être résolus sans une vision globale avec des touches conjoncturelles qui «nécessitent du temps», comme le déclare plus haut le ministre, cachent des dilemmes des plus complexes. Aomar Aït Aider, auteur du livre Université, le chaos ! le résume ainsi dans un interview accordée, le 5 novembre dernier, à El Watan étudiant : «Ces dernières années, une atmosphère pesante s'est installée à l'université où j'enseigne. Un climat de suspicion règne au sein de la communauté universitaire. Ses membres entretiennent des rapports tendus entre eux, parfois empreints de violence verbale et même physique. (…) Les étudiants se découvrant de nouveaux droits que leur offre l'actuel système d'enseignement, le LMD, les réclament et les obtiennent… ! L'administration, pour sauver ‘‘la paix et la stabilité retrouvées ces 15 dernières années'', cède. L'enseignant qui, bien souvent, ne maîtrise pas les règles sans cesse changeantes du nouveau système, est tenu d'être complaisant s'il ne veut pas renoncer à certains ‘‘privilèges''. Tout ceci se traduit par des retards dans les enseignements. L'année universitaire se mord la queue : elle démarre en novembre, mais bute souvent sur des examens à refaire pour la énième fois, des délibérations ou des orientations à revoir au gré des réclamations, créant souvent des injustices. Voilà la gageure que réussit notre Université malade. Que dis-je, agonisante ! Et il n'y a personne à son chevet.»